(En français) Pessah, Mimouna, Pourim et syncrétismes de la culture marocaine
Montée vers le Mont Lalla Mimouna à Ferkla (Maroc). Phot. Hesspress
Pessah, Mimouna, Pourim
Et
Syncrétismes de la culture marocaine
En continuité en quelque sorte de la séance sur "Le patrimoine judéo-marocain" tenue au pavillon du Maroc, invité d’honneur au Salon du Livre de Paris (26 mars 2017 ; v. Ici), et à l’approche de la grande fête juive de Pessah (11-18 avril 2017), je rappelle ici brièvement, avec quelques rajouts, certains aspects des syncrétismes culturels auxquels ce patrimoine millénaire à donné lieu. Je commence par un aspect propre que je n’ai pas suffisamment développé jusqu’ici et qui est propre au judaïsme marocain, à savoir la fête de la Mimouna (Lalla Minmouna "Notre Dame Mimouna", en fait à l’origine ou encore Lalla Mimouna Tagnawt "Notre Dame Mimouna).
Beaucoup de chercheurs se sont penchés sur les origines de cette fête et sur l’étymologie de son nom (Yigal Bin Nun, Joseph Chitrit, David Guedj, Hanna Sharvit, etc.). En complémentarité avec la piste d’investigation de Yigal Bin Nun 2016 (v. Ici, en fr.) et de la description vivante de Joseph Chitrit 2016 (v. Ici, en héb.) mais indépendamment de cela, un chercheur marocain, Mourad Jeddi 2016 (مراد جدّي), spécialiste en hagiographie du mysticisme populaire marocain, a réalisé un travail de fond bien fouillé et très documenté sous le titre ("لالة ميومونة، رمز الصلاح الأنثوي") sur le culte de Lalla Mimouna au Maroc à travers les âges et les lieux, des confins sahariens jusqu’au Rif (v. Ici, en ar.).
Il ressort en gros de l’ensemble de ces investigations réalisées curieusement la même année que la fête de la Mimouna, quoique qu’elle clôt les fêtes religieuses juives de Pessah chez les communautés juives du Maroc depuis le 18e siècle (selon J. Chetrit) ou même le 16 (selon Y. Bin Nun), était en fait à l’origine un rite païen qui célèbre la nature au début du printemps et sollicite ses largesses dans la joie, l’espoir et l’allégresse et implore la clémence des esprits.
Avec cette dimension qui était païenne et qui est devenu profane, cette fête traverse aujourd’hui dans son nouvel aspect folklorique profane les confessions (juive et musulmane), les entités ethnoculturelles (berbère, africaine, arabe, andalouse) et les lieux et localités au Maroc, où Lalla Mimouna dispose d’un vaste réseau de petits mausolées et lieux de culte (sources, arbre, montagnes, v. M. Jeddi 2016), donnant lieu, à cause de cela, à des formes de syncrétismes interculturels extraordinaires.
Le rapport de Mimouna, aussi bien d’après le nom (Lalla Mimouna vs. Sidi Mimoun) que d’après certaines formes de la musique mystique et de transe qui lui sont associées (la musique-danse de ‘gnawa’) a bien été souligné par Y. Bin Nun. Mais c’est sa forme de célébration ancestrale dans une localité lointaine du Maroc (Alnif/Tingir dans la région de Tinjdad) par des musulmans berbérophones, d’origines subsahariennes paraît-il, qui constitue un élément nouveau.
Je reproduis ci après la traduction d’une note que j’ai envoyée à mon ami Shimon Shavrit suite à une discussion que nous avons eue à Cape-Town au mois d’août dernier (2016) au sujet de la Mimouna, et ce en marge du colloque "Jews in Colonial and Postcolonial Africa". Le texte auquel la note fait référence est le texte d’un reportage fait sur place sur la fête de Lalla Mimouna dans l’oasis de Ferkla/Alnif/Tinghir dans la région de Tinjdad par Ali Al-Hassani 2015 (علي الحسني; v. Ici).
Ladite note (traduite de l’anglais) :
[[Le texte du reportage décrit une fête religieuse populaire que célèbre le premier vendredi du mois de mars (calendrier agraire) par une population berbérophone de Ferkla/Alnif à l’Est du Maroc qui est ethniquement à majorité subsaharienne. A cette occasion les habitants de cette localité montent en procession solennelle vers le Mont de Lalla Mimouna en chantant des incantations à rythme de tambour à la gloire de Lalla Mimouna, dont ils sollicitent la bénédiction. Une fois au haut de la montagne, ils préparent des galets de pain non levé qu’ils appellent ‘abadir’ en berbère, et égorgent un ovin ou un caprin.
Il y beaucoup plus de détails significatifs dans le texte du reportage, mais comme vous pouvez le remarquer, il y déjà beaucoup d’élément d’un rapport frappant avec la fête de Pessah: le calendrier, le pain azyme (dit ‘abadir’), l’ancien sacrifice pascal, etc.
D’ailleurs, en ce qui concerne le dernier élément lui-même (le sacrifice pascal), j’avais montré dans une étude académique précédente (Elmedlaoui 2006) comment cet élément de la religion juive a été réadapté au rite du sacrifice en Islam (Aïd Al-Adha) par les premières générations berbères converties à l’Islam au Maroc, y compris le sous-rituel d’asperger du sang de la bête égorgé sur le linteau de la porte de la maison (pour un extrait de cette étude, v. Ici), ainsi que le fait que ce sacrifice (dans sa version islamique) continue toujours de porter le nom araméen /pasqa/ (פסקא) adapté à la morphologie du berbère qui lui ajoute le préfixe du féminin sous forme de /ta-faska/ (le berbère n’a pas de /p/, et /q/ n’y apparait que comme variante phonétique géminée de /غ/).]]. Fin de la note.
Une autre fête agraire de la moisson, où l'on célèbre les prémisses d'une façon qui évoque curieusement la scène onirique des gerbes de Josèphe et de ses frères est à voir en vidéo à travers le lien suivant (cliquer ICI).
Enfin une autre fête juive, la fête des Pourim, a elle aussi donné lieu au Maroc à des interférences dans le folklore marocain en général, et plus particulièrement à la forme bien structurée dans les régions berbérophones du Souss et de l’Est, sous forme d’un théâtre-carnaval.
Il s’agit d’une manifestation théâtrale carnavalesque berbérophone qui s’appelle, selon les localités, bamghar, imaâshar, udayn n-tmashurt, iSwabn, etc. L’originalité de ce carnaval est qu’il est l’incarnation même de l’interculturel: alors que son cycle annuel est associé au calendrier religieux musulman (peut être même shiite), à savoir la fête religieuse dite Ashura, ses manifestations théâtrales, plastiques et ses propos discursives n’ont rien à voir avec la religion en général, et beaucoup de musulmans orthodoxes y voient même des écarts plus ou moins ‘condamnables’ selon l’esprit de l’époque, du point de vue de la religion.
En plus de cela, quel que soit la diversité de la forme et des propos tenus par les acteurs, selon les localités, la constante de ce théâtre-carnaval est de faire la part du lion aux personnages juifs avec des prénoms juifs (Shmiha, Moshe, Haïm, Dawid), à tel point que le carnaval s’appelle ‘udayn n-tmâshurt’ ("Les Juifs de l’Ashura") par endroits, et ce encore aujourd’hui, un demi siècle après que les communautés juives de ce Maroc profond ont toutes émigré en Israël ou ailleurs (v. Ici et Ici).
Conclusion
Les travaux ethnographiques de L. Voinot, E. Malka, I. Ben-Ami et autres sur les pèlerinages mystiques et le culte des saints au Maroc sont pionniers. Leur objet d’étude est millénaire, riche et tellement important pour bien comprendre les fondements de la culture du Maroc qu’il demeure à revisiter.
Mohamed Elmedlaoui
https://orbinah.blog4ever.com/m-elmedlaoui-publications-academiques
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