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(En Français) Qui a gagné aux élections du 4 sept. 2015 au Maroc?

Qui est le gagnant dans les élections du 4 septembre 2015 au Maroc?

 

Publié également sur Quid.ma Ici

 

 

Je ne suis pas politologue, ni même pas journaliste analyste. Je suis juste un citoyen qui s’intéresse au ‘res publicae’ (‘commonwealth’) de son pays et qui vient de voter. Ceci suffit pour me donner le droit d’avoir ma propre lecture des élections communales et régionales du 4 septembre 2015 dans mon pays, le Maroc, et de partager cela dans un espace public qui, heureusement, n’est plus régenté ni par des tribus, ni par des confréries. C’est l’espace bleu; et c’est à partir de cet espace, qui commence à devenir référence, que je commence le prétexte immédiat de mon présent texte  de ladite lecture.

 

Une analyse postélectorale à chaud

Mon ami et collègue, l’écrivain socio-politologue et anthropologue notoire, Mohamed Ennaji, dont les courts textes sur la toile, fort pertinents et très suivis, appréciés et partagés, vient d’afficher sur son mur Facebook (les 5 et 6 sept. 2015) une série de textes, en commentaires à chaud sur les élections régionales et communales.

Le premier texte a pour titre «Dialogue post-électoral: qui a gagné?» (Toute mise en majuscule dans les citations qui suivent est de l'auteur M. Ennaji). De ce texte, on sort avec la conclusion que, abstraction faites de «l’arithmétique d’épiciers» en termes du nombre total des voix encaissées par les différents partis dans ces élections ainsi que des possibles alliances auxquelles ces scores peuvent donner lieu post-électoralement, il y a un grands vainqueurs au fond et un grand perdant dans une certaine mesure.

 

Le grand vainqueur au fond, c’est le PJD (Parti de Justice et Développement) qualifié dans le texte comme ayant «la détention des commandes du social» et comme étant, «(avec Aladl wal lhssane), le seul parti susceptible de mobiliser ses troupes et de raisonner la rue pour la calmer et la domestiquer». Le grand perdant, dans une certaine mesure, c’est «le pouvoir en haut lieu» à travers le score du PAM (Parti Authenticité et Modernité), qualifié dans le texte comme un parti «composé de notables et de cadres opportunistes qui n’ont pour slogan que l’anti-islamisme» et qui ne s’est fait remarquer en première position que «dans les zones socialement peu évoluées où dominent les notables, et dans les campagnes, là où l’appareil administratif garde encore la main d’une façon ou d’une autre sur les urnes». Et l’auteur d’ajouter que ces gens «ne représentent pas grand-chose en termes de dynamique politique et sociale. Nous assistons certainement à un changement des rapports de force où le pouvoir se retrouve embarqué avec son expérience démocratique. Ce ne sont pas des sièges qui sont en question mais une légitimité et une vision du pouvoir. La société marocaine change assurément. Elle vote utile contre l’abus, contre la corruption, elle ne vote pas aveuglée par le religieux, c’est faux».

 

Ceci, alors que le PJD a pu occuper la deuxième position en termes de nombre de voix «dans les villes, les grandes villes; c’est-à-dire là où le pays change à vue d’œil, là où il n’y a plus de tribu, où le caïd est invisible, là où il y a les écoles, les universités, les usines».

C’est pourquoi, précise l'auteur, en messager, dans l’un de ses textes de, «j’ai voté pour ce parti pour des raisons précises: qu’il le veuille ou non, il participe à l’effritement du pouvoir absolutiste, ET ÇA C’EST UNE URGENCE CAPITALE. Ça se fait à petits pas mais ça se fait tout de même. Ce parti a une morale qu’il sera obligé de respecter sinon il va chuter aux prochaines élections : lutter contre la corruption, celle qui m’importe dans les marchés publics, dans les transactions en général où l’État est partie prenante. Et surtout casser le monopole des groupes dominants, racistes et arrogants qui ont fait mainmise sur les hauts postes : directeurs, administrateurs d’entreprises publiques, ambassadeurs… C’est de là que le pouvoir tire ses fonds et conforte sa puissance. Ce sera un coup sérieux à lui porter. Voilà quelques éléments et on peut en ajouter d’autre». «Sur ce plan le PJD représente indiscutablement un progrès. Il lui revient à présent de faire preuve de plus de courage et de détermination dans la négociation de ses attributs».

 

Comme j’ai réagi à cette analyse, là où elle est affichée dans un format littéraire vulgarisateur de la part de l’auteur, je reproduis ci-après mes remarques en les résumant.

 

Mes remarques à chaud sur un analyse à chaud

La radioscopie analytique résumée plus haut de M. Ennaji est plus que vraie (s’il y a des degrés dans le vrai), dans la mesure où elle ne fait que refléter, en en explicitant la logique, une autre radioscopie d'arrière plan: celle d’un état d’esprit collectif plus profond, l’état d’esprit d’une conscience politique collective profonde particulière, pour laquelle le recours aux urnes n’est toujours pas devenu UNE OPTION DEMOCRATIQUE pour départager les protagonistes sociopolitiques au sujet de la manière de gérer la société, et dans quel sens?

 

Il s’agit d’un sens politique collectif particulier où tout le jeu électoral n’est, à chaque fois, qu’une énième répétition et simulation-teste pour soupeser les rapports de force EN TERMES DE NOMBRE, dans la perspective de départager la divergence politique et d’en DECOUDRE avec, AUTREMENT QUE PAR LA VOIE ET LES PROCEDES DEMOCRATIQUES. D’où cette présence obsessionnelle de LA RUE, en politique tout comme en analyse académique, comme VERITABLE ARENE ULTIME DE TOUT DEPARTAGE.

Auparavant, c’étaient les rites des processions de "la solidarité" (aujourd'hui oubliée) avec la Palestine et/ou/puis l’Iraq, qui servaient d'alibi-prétexte, dans LA RUE, pour faire ces répétitions-teste (les organisateurs y ont toujours ardument négocié la visibilité des forces participantes). Aujourd’hui, beaucoup d’esprit gardent le scénario du soi-disant Hirak du printemps 2011 dans l’esprit, comme SCENARIO DE REFERENCE, soit pour l’appliquer le moment venu, soit pour en exorciser l’éventualité, soit juste pour comprendre et faire des pronostics analytiques.

Jusqu’à nouvel ordre, ce n’est donc pas la démocratie qu’on expérimente avec cet esprit comme lame de fond; c’est autre chose. Comme toutes les valeurs, la démocratie germe et émerge d’abord dans les esprits et les hante, avant de pouvoir se traduire en procédés et se concrétiser en acte et en manières de voir les choses.

 

Sur le plan de la pure cogitation qui cherche juste à comprendre pour analyser la réalité politique, et pas nécessairement pour agir, ce sont les valeurs intériorisées qui déterminent la façon dont on catégorise les composants de l’objet d’analyse et le type de rapports que l’on perçoit entre ces composants. Pour ce qui est de la réalité politique du Maroc d’aujourd’hui, il y a une disposition essentialiste de l’esprit, qui consiste à ‘faire d’une idée un chapeau’: les catégories du lexique de la langue y acquièrent, chacune, un statut ontologique absolu en tant qu’essence dont l’existence propre n’est tributaire d'aucune autre entité. Il y a le Roi, dit parfois ‘Palais’ ‘Makzen’, ‘Pouvoir’ et plein d’autres péjoratifs ou euphémismes exorcisant, et il y les partis de A à Z et plus, que l’on catégorise en deux catégories antinomiques, opposées l’une à l’autre sur la base de leur rapports supposés à ce Palais/Makzen/Pouvoir.

 

C’est aussi simple que ce schéma confortant où l’instance d’Etat est complètement absente en tant que concept qui transcende les entités mentionnées et qui a sa propre logique que l’on appelle "Raison de l’Etat" dans l’histoire. Et, là où la réalité se montre obstinément plus riche et compliquée dans les rapports qui fondent l’existence relationnelle de ses propres composants et lui donnent un sens relationnel relatif, ledit schéma réducteur fait appel aux concepts-joker de monstres surnaturels (‘monstres et crocodiles’) de tous les camps, afin de sauver la ‘logique’ interne de cette manière de voir les choses et/ou de les présenter.

 

Ainsi par exemple, si tout le monde - y compris l’esprit dans lequel l’analyse de M. Ennaji a été faite - se rappelle et rappelle bien curieusement à chaque fois les conditions sociopolitiques dans lesquelles le PAM a vu le jour, comme une émanation d’une raison d’Etat qui traduit la moyenne du ‘géni’ d’une société en devenir, et non pas comme un simple coup de baguette magique de la volonté arbitraire d’une personne, le souci de rendre opérationnel ledit schéma réducteur d’analyse fait que les conditions d’incubation du PJD dans la couveuse du parti du feu Abdelkrim Al-Khatib traditionnellement catégorisé comme ‘pro-pouvoir par excellence’, ainsi que les circonstances de l’arrivée enfin de ce PJD au pouvoir, soient aussi curieusement mises sous le boisseau et occultées, comme si le jeu politique dans ce dernier cas n’est pas celui du même ‘géni’ politique marocain global.

En fait, autrement que par cette mise sous le boisseau, on ne pourrait pas arriver, en commentant les derniers scores électoraux du PJD, à des conclusions frontales et alarmistes de type: «qu’il le veuille ou non, il participe à l’effritement du pouvoir absolutiste», en ajoutant que «ce ne sont pas des sièges qui sont en question mais une légitimité et une vision du pouvoir».

Ces deux formations politiques (le PJD et le PAM) sont deux formations comme les autres, qui ont leurs assises respectives dans le tissu des forces de la société; et les électeurs qui les ont portés là où elles sont aujourd’hui ne sont pas moins citoyens que le reste des électeurs, du moment où tout le monde joue franc le jeu démocratique.

Le fait que la vénalité, sous toutes ses formes (assistance argent rapports grégaires), sous-tend ici ou là l’acte de vote chez certains, n’a pas de sens sur le plan de la pratique politique. C’est au niveau de la morale que ce fait a un sens. Ce sont deux plans différents dans toute société; et le dernier fameux épisode de la vénalité scandaleuse d’une presse d'un pays démocratique, donneuse de leçons aux autres en matière de bonne gouvernance et d'éthique politique et faiseuse d’opinion sans frontières (le scandale Laurent/Graciet ; voir Ici) démontre bien cela.

 

Pour ce qui est du PJD, il n’a pas besoin qu’une analyse savante lui explique le rôle que la nouvelle donne de l’histoire lui fait jouer sur un certain plan. Cela, il en est conscient et ne cherche pas à le cacher. Que cela soit un choix délibéré de départ ou le produit de la simple logique implacable de la ‘ruse de l’histoire’ qui échappe, par définition, aux intentions particulières "du chameau et du chamelier". Dès ses l’étapes d’initiation, dans la couveuse d’incubation politique, aux premiers pas de l’action politique légale, puis tout au long de ses premiers pas mesurés, de part et d’autre, en matière de participation au jeu électoral, et surtout avec les circonstances, particulières sur le plan national et régional, qui l’ont qualifié puis conduit à la tête de l’exécutif de la façon que tout le monde connaît, ce parti, le PJD, était bien conscient dudit rôle particulier, étant donné l’état d’esprit de la conjoncture géopolitique interne et environnante.

Certains de ses dirigeant y font même trop allusion et ne cessent de le claironner face aux adversaires politiques, soit comme chantage ‘à bon entendant’, soit comme argument politique pour justifier l'action gestionnaire de la coalition gouvernementale, au point d’en agacer leurs adversaires politiques et d’en gêner les propres membres et sympathisants du parti.

 

Ce n’est donc pas la filiation et phylogenèse politique, ni les conditions particulières d’accouchement d’une formation politique donnée qui en déterminent à jamais le profil et la destinée historique (penser à l'histoire de RNI ou celle de UNFP-l’USFP entre autres). Le PAM et le PJD, les deux grandes forces politiques qui se sont bien dégagées dans les dernières années dans le pays en s’opposant l’une à l’autre, sont donc le produit composé et contradictoire de la dynamique qui anime le ‘géni’ sociopolitique collectif marocain en devenir, et non pas les produits d’une simple création magique d’une volonté arbitraire personnalisable. Leur opposition l’une à l’autre les fait remplir chacune, de par leur opposition même, des fonctions pourtant complémentaires au niveau de l’Etat-Nation du Maroc, vu le contexte général de l’évolution la nation dans l’environnement géopolitique actuel du pays.

Mohammed Ennaji lui-même, a même appelé le PJD en 2011 à se concerter avec le PAM sur un certain plan de la politique puisqu'il trouve cela normal (voir l'extrait qui termine le présent texte). La deuxième formation en particulier, le PJD, semble avoir bien compris des choses et en avoir appris. L’expérience environnante, notamment en Egypte, en Tunisie, en Lybie et ailleurs) lui a fait comprendre que ce personnage peint peint et projeté dans le texte de M. Ennaji, qui "ne fait pas la prière", qui «bois quand il a envie d’un verre» mais «qui a voté PJD», n’est certainement pas une pure invention de fiction fantastique du genre littéraire choisi par l’auteur pour vulgariser son analyse intitulée "Dialogue en forme de confession électorale". Un tel personnage est le prototype de ceux qui ont porté les Islamistes au pouvoir en Egypte et en Tunisie par exemple avant de les révoquer, avec tout ce qui s’en est suivi comme tragique, surtout en Egypte, et ce dès que ceux-ci se sont trompés dans la lecture de la teneur du mandat qui leur a été fait par voie des urnes.

En termes généraux, le PJD semble avoir bien compris que le résultat brut des urnes, soit-il obtenu d’un vote d’un ‘vendredi saint’, ne saurait nullement être allègrement pris pour une allégeance des temps missionnaires (مبايعة تحت الشجرة).

 

Bref, chacune des deux forces politiques semble avoir compris la portée de ce que l’on appelle traditionnellement ‘Exception Marocaine’; car c’est bien d’une exception qu’il s’agit, laquelle étant déterminée par une géo-histoire et une culture politique qui en résulte. Dans ce sens, le seul fait de tenir des élections sereines de l’envergure de celles du 4 septembre 2015, avec leurs enjeux régionaux, leur taux de participation (53,6) qui a défié tous les pronostiques, ainsi qu'une implication des jeunes générations même si c'est juste de façade, et le fait de réussir tout cela face à ce qui se passe dans l’environnement immédiat et lointain, cela suffit pour indiquer qui est le vrai gagnant desdites élections, à savoir la jeune démocratie marocaine encore tâtonnante, pour ne pas dire très déficitaire sur le plan de philosophique, éthique et d'esprit de gouvernance.

 

Morale théorique et questions de cohérence

Comme dans tout Etat ancré dans l’Esprit de l’Histoire (au sens hégélien du terme), l’Etat Marocain transcende ses propres composant fonctionnels, à savoir l’institution royale, et les autres composants de la société (tribus, ethnies, classes, partis, associations, etc.). Et à ce titre, et juste pour le détail, la déification et l’apothéose de l’entité Pouvoir/Palis/Makhzen, qui sous-tendent l’analyse de M. Ennaji (académicien spécialiste de l’histoire de l’entité ‘Makzen’; voir Ici) semblent bien être en déphasage total, voir en contradiction avec un ancien texte qui questionne la pertinence du concept de Makzen en tant qu’entité politique au Maroc d’aujourd’hui (voir Ici).

 

Enfin, quelle cohérence de l’analyse de M. Ennaji avec une autre qu’il a faite au lendemain des élections de 2011 en les termes qui suivent?:

 

"إذا كان انسحاب 'فؤاد عالي' الهمّة من 'قيادة البام' وتعيينه 'مستشارا للملك' مرتبطين بشكل وثيق بالربيع العربي وصعود 20 فبراير، فالعدالة و التنمية ليس بمنأى عن هذا الصعود، ومن مصلحته التعاون مع الملك. هذا تصوري للأمور؛ فالهمة له دور مهم كصلة وصل في العلاقة مع العدالة و التنمية لأجل إخماد لهيب 20 فبراير. أما العدالة والتنمية فيتمسك بجميع الأطراف؛ فهو يغازل حركة 20 فبراير، وكذلك يفعل مع الملك. وهو بحاجة إلى الهمة كمستشار ليواجهوا سويا نفس الخصم، الشارع لاحتوائه. العدالة و التنمية يطلق تصريحاته النارية ضد أعداء وهميين، و يمارس الوعظ لأجل إبعاد انتباه العامة. وهو يعرف جيدا أن جانبا من المواطنين قد صوت له ليقول لا؛ و لكنهم ينتظرونه في المنعرج."

المصدر هـــنـــا.



07/09/2015
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