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(EN FRANCAIS) 2-Langue d'enseignement: Descartes et Condorcet ne sont pas marocains, Hugo non plus

Langue d’enseignement-2 

Descartes et Condorcet ne sont pas marocains, Victor Hugo non plus

 

 

Par une anamorphose perceptuelle trompeuse, on a toujours entrevu un clivage ‘X-phone’ partout là où la question de la langue en général est évoquée au Maroc (enseignement, arabisation, amazighe, darija). Cela veut dire qu’on a toujours tendance à réduire tout débat sur ce sujet (le plus souvent sous forme de polémique) à un simple clivage entre deux camps: ‘le camp arabophone’ et ‘le camp francophone’. Le dernier épisode de cette polémique, la controverse sur le darija (arabe marocain), vient pourtant de désillusionner et de démystifier le mirage de ce prétendu clivage. Des Prix Goncourt et de prestigieuses plumes de la langue de Molière se sont ralliées cette fois-ci au Maroc aux défenseurs traditionnels de la "Langue du Paradis". Ce genre de ralliement est aussi vieux depuis qu’il y a des conflits sociaux. Dans la littérature léniniste et maoïste, on expliquait scolairement aux militants que, dans la longue "lutte des classes" pour "assoir le pouvoir de la dictature du prolétariat", il faut toujours distinguer, à chaque stade, la Contradiction Principale de la Contradiction Secondaire.

Dans le cas de l’enjeu linguistique, partout et à toute époque de l’évolution des sociétés, la contradiction principale se situe, pour deux camps principaux, sur un plan qui transcende les langues particulières à l’usage. C’est la contradiction entre deux camps:

(i) le camp qui fait de l’outil linguistique, sous forme d’une langue donnée ou d’un registre donné de langue, une institution sociale qui réglemente la prise de la parole, codifie la réflexion et garantie ainsi à une élite restreint, dans un secteur donné ou dans tous les secteurs de la société, une notoriété particulière, voir une autorité exclusive;

(ii) le camp qui prône la libéralisation de la réflexion, la démocratisation de la prise de parole et de l’accès à l’information et au savoir que produit la société grâce à la plus-value que dégage son travail (v. Condorcet : Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain).

C’est cela qui explique aujourd’hui au Maroc ce mariage de passage, mais également de raison, qui - au sujet de la darija aujourd’hui, tout comme au sujet de l’amazigh avant que tout le monde n’avale la pilule de ce dernier en espérant la vomir - a finit par réunir dans un même lit les deux camps X-phones, traditionnellement rivaux dans ce pays, et ce face à la menace principale pour les deux conjoints en cohabitation, qui consiste en la menace d’une démocratisation de la parole et de l’accès à l’information et au savoir, chose qui signifie pour l’un, tout comme pour l’autre, une perte d’autorité et de privilège.

L’émergence des sociétés modernes, en Europe notamment, est forcément passée par là à partir de la Renaissance, de la Réforme religieuse (traductions de la Bible dans les langues vulgaires) et des Lumières (avènement de la Raison et rupture critique avec la métaphysique, la spéculation et la scholastique). Sur le plan linguistique, durant le long processus de formation des langues dites par la suite "nationales", une longue et farouche controverse fut engagée alors dans ces sociétés au sujet des langues (ou registre de langues) considérées à l’époque par les milieux scolastiques comme "vulgaires" ou "roturières" par rapport au noble latin à partir duquel ces langues s’étaient détachées historiquement par un mélange de substrats et d’adstrats comme dialectes (italien, français, espagnole, portugais, roumain). Pendant les phases de chevauchements sociolinguistiques de cette époque justement, le grand philosophe des Lumières, René Descartes, qui a écrit son Cogito spéculatif en latin, a choisi une langue émergente à l’époque, ancienne dialecte ‘vulgaire’, à savoir le français, pour rédiger son Discours de la méthode qui fonda le savoir et la pensée modernes. Par ce choix, Descartes souhaitait, dit-il, «être compris des femmes et des enfants» au lieu de s’adresser aux seuls doctes scholastiques et à ceux qui sont en quête d’une autorité en tant que ‘maître à penser’, cette dernière catégorie de gens qu’il a magistralement décrite dans la sixième partie du même ouvrage.

Décidément, Descartes et Condorcet ne sont pas marocains. Et puisqu’un écrivain philosophe de la trempe d’Abdallah Laroui se félicite, dans son plaidoyer contre l’arabe marocain et pour l’arabe classique (v. Ici), de ne pas avoir écrit son tout premier roman "al-yatiim" en arabe marocain après y avoir pensé (al-Ahdath al-Maghribiya 21 nov. 2013, p.10), Victor Hugo, non plus, n’est décidément pas marocain.

Car aujourd’hui, pour dire "Langue française", la figure de style courante est de dire "Langue de Molière" ou "Langue de Victor Hugo". Pourtant, pas loin que le milieu du 19e siècle, Victor Hugo a dû composer, en un véritable plaidoyer, un poème à souffle militant révolutionnaire, pour défendre justement le recours qu’il faisait à ce qu’on considérait encore à cette époque non lointaine comme termes roturiers; il s’agit du poème suivant :

Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ;

Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,

Les Méropes1, ayant le décorum pour loi,

Et montant à Versaille2 aux carrosses du roi ;

Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires3,

Habitant les patois ; quelques-uns aux galères

Dans l'argot ; dévoués à tous les genres bas,

Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas,

Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ;

Populace du style au fond de l'ombre éparse ;

Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas4 leur chef

Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F ;

N'exprimant que la vie abjecte et familière,

Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.

Racine regardait ces marauds de travers ;

Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,

Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille ;

Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille !

Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.

Alors, brigand, je vins ; je m'écriai : Pourquoi

Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière ?

Et sur l'Académie, aïeule et douairière5,

Cachant sous ses jupons les tropes6 effarés,

Et sur les bataillons d'alexandrins carrés,

Je fis souffler un vent révolutionnaire.

Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.

Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !

Je fis une tempête au fond de l'encrier,

Et je mêlai, parmi les ombres débordées,

Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ;

Et je dis : Pas de mot où l'idée au vol pur

Ne puisse se poser, toute humide d'azur !

Discours affreux ! - Syllepse, hypallage, litote6,

Frémirent ; je montai sur la borne Aristote7,

Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.

Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,

Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces8,

N'étaient que des toutous auprès de mes audaces ;

Je bondis hors du cercle et brisai le compas.

Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

 

Victor Hugo, «Réponse à un acte d'accusation», Les Contemplations, livre premier, VII, 1856.

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1. Personnages de tragédies.

2. L'absence du s est volontaire.

3. Inquiétants.

4. Vaugelas : auteur des Remarques sur la langue française (1647). Il y codifie la langue selon l'usage de l'élite.

5. L'Académie Française, garante des règles ; douairière : vieille femme.

6. Figures de style.

7. Aristote, philosophe grec, avait codifié les genres et les styles.

8. Peuples considérés ici comme barbares.

Source : http://www.annabac.com/content/textes-de-n-boileau-v-hugo-rimbaud-b-cendrars

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D’ailleurs, encore aujourd’hui, l’Académie de la Langue Française continue toujours à prêter l’oreille à l’usage quel que soient les jugements que peuvent faire ceux qui se sentent en droit de se faire reconnaître le prestige de maîtriser à force de labeur d’instruction les fines particularités qui échappent aux autres; je cite : {«On dit bien "Ils boivent"; alors il était assez injuste de considérer "Ils croivent" comme une faute de français», observe à juste titre Jean d’Ormesson [membre de l’ALF]. Cette décision de l’Académie Française découlerait ainsi d’une volonté de faire évoluer la langue vers sa forme utilisée quotidiennement par ceux qui la pratiquent. Simplifier, clarifier, dépoussiérer la langue française fait partie intégrante des missions salutaires que mène de front l’Académie} (voir ICI).

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Voir un autre court texte complémentair, Ici 

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Mohamed Elmedlaoui (linguiste sémitisant et berbérisant)

Institut Universitaire de la Recherche Scientifique

https://orbinah.blog4ever.com/m-elmedlaoui-publications-academiques

 

 

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28/11/2013
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