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(En français). Séminaire à l'IRES sur l'adhésion du Maroc à la CEDEAO

Réflexions en marge d'un séminaire organisé par l’Institut Royal des Etudes Stratégiques

 

"L’adhésion du Maroc à la CEDEAO : enjeux, défis et perspectives"

 

Siège de l’IRES, le 23 10 2017

 

 

 

 

L’Institut Royal des Etudes Stratégique a organisé ce matin (23 oct. 2017) dans son siège à Rabat un séminaire sur le thème de "L’adhésion du Maroc à la CEDEAO : enjeux, défis est perspectives", et ce en présence et participation au débat d’un large éventail diversifié d’intervenants (une quarantaine de personnes : responsables de départements, ambassadeurs, chercheurs universitaires).

 

Le D.G. de l’IRES, M. Mohammed Tawfik Mouline, a tout d’abord fait la présentation des résultats préliminaires de l’étude menée sur le sujet par l’équipe ad hoc chargée par l’Institut (les universitaires : Saïd Dkhissi, coordinateur,  Jamal Machrouh, et Roudani Cherkaoui). M. Zakaria Abouddahab, universitaire associé à l’IRES, assurant la modération.

 

Deux heurs d’apport en diagnostique, en pronostique et en questionnements de très haut niveau, aussi bien pour le fond que pour la forme (pertinence, concision, et concepts explicites), où le débat eut la large part des deux heures qu’a duré le séminaire (09 :30 – 11 :30). Toutes les questions ont été posées (économie/finances, migration, sécurité, géopolitique, et types, degrés rythmes et chance d’une coopération bilatérale ou d’intégration à des organisations (UE, UM, CCG, CEDEAO, Ligue Arabe) plus ou moins intégrées elles-mêmes, avec tout ce que cela implique pour le Maroc.

 

Invité au séminaire, même si je ne suis pas du tout expert en la matière dans ses aspects techniques sectoriels, mon intervention reprend l’esprit de celle que j’ai faite le 13 avril dernier (2017) dans la séance "L’Afrique en Mouvement : circulations des imaginaires au prise de l’identitaire" (voir Ici). Ladite séance qui s’inscrivait dans le cadre de la rencontre "L’Afrique en mouvement : migration, diaspora et mobilité" organisée par plusieurs institutions dont le CNDH et l’Académie du Royaume du Maroc, tenue à l’auditorium du Musé Mohamed VI de l’Art Moderne Contemporain et qui a traité  des  problématique de la migration, dans son rapport avec les politiques publiques nationales, régionales et internationales, d’échange et de coopération portant sur l’Afrique.

Je synthétise et développe le sens de mon intervention au débat, avec ses arrière-plans de réflexion, exprimés ailleurs auparavant (voir Ici, par ex.), dans les quatre points suivants:

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1.  Une géopolitique, économique et/ou politique tout court, a certainement ses propres plans de définition, d’application et de suivi. Mais toute politique de ce genre a également besoin d’autres assises et d’autres formes d’accompagnement qui relèvent d’autres plans d’action.

 

Le Maroc, pays africain de fait, de par la géographie, l’histoire et l’élément humain, n’a  formellement redécouvert ses dimensions géo-historiques et humaines africaines qu’il y a un peu plus d’une dizaine d’années, après une période de rupture économique et humaine et d’amnésie culturelle, qui a duré plus d’un siècle.

 

Maintenant, le Maroc officiel,  tente de faire de sa dimension africaine une vrai politique, sur les plans politique, géopolitique, diplomatique et de coopération socio-économique et de formation dans différents secteurs, mais aussi en matière de politique de migration. Tous ces plans ont été abordés aujourd’hui dans le séminaire de l’IRES avec la plus haute des expertises, aussi bien à travers la présentation des résultats préliminaires de l’étude accomplie qu’à travers les interventions d’experts lors du débat. Il reste un plan/volet : celui de l’accompagnement culturel, non pas pour faire des percées, comme certaines autres parties qu’intéresse l’Afrique le font, mais juste pour combler le vide créé par ladite période de rupture et d’amnésie.

2. Pour souligner l’importance des différents types de défis à affronter, et d’intérêts conflictuels à savoir gérer, ménager et négocier, plusieurs intervenants lors du débat ont, directement ou indirectement, évoqué cette dernière dimension/plan de toute politique du genre de ce qu’entreprend dernièrement le Maroc dans ses rapports avec l’Afrique, à savoir la dimension/plan culturelle.

 

Les dimensions culturelles et linguistiques endogènes et exogènes ont été évoquées (francophonie vs. anglophonie). Le déficit culturel de certains intervenants économiques  marocains sur le terrain en Afrique, qui véhiculent encore une conception de "missionnaires", parfois arrogants, a également été souligné avec force. Par contre (et là, c’est une parenthèse que j’ouvre) lorsque par exemple, le P.M israélien B. Natanyahu, a fait le déplacement pour Monrovia (épisode évoqué lors du débat au séminaire) pour y être le premier responsable non africain à prendre la parole dans le 51 sommet de la CEDEAO, c’est en anglais qu’il s’est adressé aux africains pour souligner tout D’ABORD "le partage, avec les Africains, de l’expérience de l’esclavage et de l’aspiration à l’émancipation", AVANT de présenter ce que son pays se voit en mesure d’apporter à l’Afrique (expérience en matière de sécurité, indispensable à toute essor économique, la haute technologie en matière notamment de mobilisation des ressources et des énergies renouvelables, de développement hydrique et de recyclage et d’augmentation du rendement agricole; voir  Ici). Avant cela, et dans la ligne d’une longue et profonde action de présence culturelle israélienne en Afrique Australe et de l’Est, et pour une auto-qualification culturelle pour faire une percée en Afrique de l’Ouest, le dernier colloque international organisé à l’Université de Cape Town en Afrique du Sud en août 2016 sous le thème de "Jews in Colonial and Postcolonial Africa", donne une idée de la dimension culturelle d’un géopolitique de par le poids des universitaires israéliens dans ce colloque sur une période qui a profondément marqué la mémoire africaine.  j’ai personnellement pu y faire un exposé à paraître dans les actes intitulé “The consecration of the Hebraic Dimension in the Moroccan Constitution: Its Background and significance” (voir l’exposé Ici).(1)  J’y ai exposé les contours de la redécouverte du Maroc de ses dimensions identitaires multiples, africaines notamment, tel que cela fut consacré  par le préambule de la nouvelle Constitution.

 

Israël n’est évoqué ici qu’à titre d’exemple des différents acteurs internationaux actifs intéressés de l’extérieur par l’Afrique à travers le monde, et dont il faut tenir compte et négocier les intérêts dans la mêlée des compétitions. Et en tout cas, et pour commencer une politique de ce genre, à titre d’exemple toujours, ce n’est pas par le type d’action, mené dernièrement à l’enceinte de la Chambre des Conseillers du parlement marocain (voir Ici, en ar.) à l’occasion de la tenue à Rabat de la conférence organisée par l’Assemblée Parlementaire de la Méditerranée en partenariat avec l’Organisation Mondiale du Commerce sur le thème: «Faciliter le commerce et les investissements dans la région méditerranéenne et africaine», que le Maroc parviendra à traiter des cas complexes et à géométrie variable de ce genre, alors que ce même Maroc dispose bien d’un capital humain actif et influent en diaspora à travers le monde, y compris en Israël.

3.  En fait, les défis de compétition et/ou de blocage, auxquels le Maroc doit s’attendre à faire face et à gérer, sont des défis nombreux, et leurs dimensions économiques et géopolitiques sont nombreuses également et se croisent avec d’autres dimensions, idéologiques et culturelles notamment.

 

Il y a d’abord un axe tripartite géographique, où l’idéologique postcolonial, le culturel et le pur intérêt interfèrent (Algérie arabo-francophone – Nigéria – Afrique du Sud anglophones ; et l’épisode des dernières déclarations du ministre algérien des AE sur la nature de l’action économique marocaine en Afrique place a été évoqué lors du débat au séminaire). Un autre triangle, cette fois-ci plus abstrait, linguistique et culturel, est formé par la francophonie, l’anglophonie et l’arabo-phonie dans ses interférences avec les différentes formes de l’islamisme politique (Egypte, Turquie et Pays du Golf). Tout cela, sur le fond de cultures africaines et de langues africaines (Touarègue, Wolof, Peul, Haussa, Sangho, etc.),  qui fond la fierté des nouvelles générations africaines et qui sont à découvrir et connaître par un partenaire proche pour qu’il puisse communiquer, jeter les ponds d’entente et de confiance et se faire accepter au niveau des relations humaines dans les pays africains; surtout que la plupart de ces langues sont en cours de d’aménagement et de qualification et que le Maroc a dernièrement acquis une bonne expérience en matière de qualification (grammaires, lexiques, orthographes) de langues orales ou à faible tradition écrite, l’amazighe (berbère) notamment au niveau institutionnel, mais également l’arabe marocain en marge de l’institutionnel.

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4.  Quels sont donc, dans ce sens, les programmes d’accompagnement des nouvelles orientations du Maroc, qui cherche aujourd’hui de faire une vrai politique de son africanité de fait?

 

Cette question ne porte pas uniquement sur le plan de la politique officielle générale (agences appropriées d’échanges en matière de formation et de connaissance culturelle, linguistique et artistique de l’Afrique) et sur celui de l’action des institutions académiques et de recherche (filières et départements spéciaux en la matière). Elle concerne également et surtout le corps intellectuel marocain dans sa globalité; car la période, signalée plus haut, de rupture amnésique d’avec l’Afrique, a profondément marqué ce corps. Les arts marocains contemporains, avec toutes leurs formes (roman historique ou de fiction, théâtre, poésie, peinture, etc.) et toutes leurs expressions linguistiques (arabophone, francophone, anglophone ces dernières années, etc.) sont des plus brillants dans l’environnement géographique du Maroc. Seulement, ces arts sont traversés par toutes les dimensions actuelles et historiques de l’Est de la Méditerranée et, aujourd’hui, du Nord de la Méditerranée; mais les dimensions africaines du Sud y sont quasi absentes, pour ne pas dire totalement. Or cette la culture africaine traverse toujours, en profondeur l’imaginaire marocaine dans toutes ses manifestations linguistiques et artistiques et même confessionnelles (Islam et Judaïsm) au niveau dit de ‘culture populaire’ (voir Ici pour l’imaginaire, Ici pour la musique et Ici pour un plaidoyer pour inscrire la musique gnawi comme patrimoine immatériel mondial à l’Unesco).

Une remise à niveau de la culture savante marocaine et de la sémiologie des média visuels marocains, ainsi qu’une qualification des acteurs économiques et diplomatiques marocains en Afrique notamment s’impose donc. Et la sémiologie anthropométrique de la couleur de la peau (devenue, à cause de l’histoire, hypersensible en Afrique) doit être la première à devoir cesser de véhiculer, dans les domaines du personnel diplomatique, des média nationaux et des lieux d’accueil touristique notamment, un système de valeurs, archaïque en terme d’humanisme moderne et de droits de l’Homme,  dont il faut plutôt faire des excuses solennelles historiques s’agissant de l’Afrique, afin de se mettre au diapason de l’époque et inspirer confiance (faut-il rappeler ce qu’une certaine presse trouve à rapporter de "l’indignation"  de  Nelson Mandela lors de sa visite au Maroc en 1995?).

 

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(1) Le texte de mon exposé au colloque de l’Université de Cape Town précise notamment ce qui suit :

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[... With the last decades’ socio-cultural and socio-political developments of the Moroccan society as a whole, regarding issues of identity, especially after the 2001 promulgation of the royal decree creating the Royal Institute for the Amazigh Culture (Amazighe = Berber), new socio-political patterns and paradigms are now in elaboration. Significantly in this respect, as explicitly expressed once by King Mohammed VI, Morocco is more and more reluctant to the idea of being diluted, for example, in what the US diplomacy considered once as a GME (Great Middle East) entity. Instead, Morocco emphasizes more and more, both in discourse and in practice, its actual African geographic reality and historic roots.]

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Mohamed Elmedlaoui (IURS)



23/10/2017
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