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(En Français) A propos du Sommet Maroc-Pays du Golf

Et si Dr. FAUST était LE PRINCE?

 

Realpolitik et culture des schémas figés

 

(A propos du sommet Maroc-Pays du Golf)

 

 

 

1- D’abord un spécimen de négociation contractuelle entre Dr. Faust et le diable Méphistophélès (tiré de Faust de Goethe).

 

MÉPHISTOPHÉLÈS (s’adressant à Faust):

- … ; mais, si tu veux, uni à moi, diriger tes pas dans la vie, je m’accommoderai volontiers de t’appartenir sur-le-champ. Je me fais ton compagnon, ou - si cela t’arrange mieux - ton serviteur et ton esclave.

 

FAUST:

- Et quelle obligation devrai-je remplir en retour ?

 

MÉPHISTOPHÉLÈS.

- Tu auras le temps de t’occuper de cela.

 

FAUST.

- Non, non ! Le diable est un égoïste, et ne fait point pour l’amour de Dieu ce qui est utile à autrui. Exprime clairement ta condition ; un pareil serviteur porte malheur à une maison.

 

MÉPHISTOPHÉLÈS.

- Je veux ici m’attacher à ton service, obéir sans fin ni cesse à ton moindre signe ; mais, quand nous nous reverrons là-dessous, tu devras me rendre la pareille.

 

FAUST.

- Le dessous ne m’inquiète guère ; mets d’abord en pièces ce monde-ci, et l’autre peut arriver ensuite. Mes plaisirs jaillissent de cette terre, et ce soleil éclaire mes peines ; que je m’affranchisse une fois de ces dernières, arrive après ce qui pourra ! Je n’en veux point apprendre davantage. Peu m’importe que, dans l’avenir, on aime ou haïsse, et que ces sphères aient aussi un dessus et un dessous.

 

MÉPHISTOPHÉLÈS.

- Dans un tel esprit, tu peux te hasarder : engage-toi ; tu verras ces jours-ci tout ce que mon art peut procurer de plaisir ; je te donnerai ce qu’aucun homme n’a pu même encore entrevoir.

 

FAUST.

- Et qu’as-tu à donner, pauvre démon ? L’esprit d’un homme en ses hautes inspirations fut-il jamais conçu par tes pareils ? Tu n’as que des aliments qui ne rassasient pas ; de l’or pâle, qui sans cesse s’écoule des mains comme le vif argent ; un jeu auquel on ne gagne jamais ; une fille qui, jusque dans mes bras, fait les yeux doux à mon voisin ; l’honneur! belle divinité qui s’évanouit comme un météore. Fais-moi voir un fruit qui ne pourrisse pas avant de tomber, et des arbres qui tous les jours se couvrent d’une verdure nouvelle.

 

2- Les incarnations du diable

Le Diable; il peut s’en trouver, incarné sous la peau d’un humain ou d’un chien noir (à l’instar de la première manifestation du Méphistophélès sous les yeux du Dr. Faust), tout comme il peut s’en trouver, dilué en l’ombre de l’étendard d’une entité abstrait: une secte, un parti politique ou un Etat ou fédération d’états par exemple. Dans tous les cas - puisque le diable fait donc partie de la faune qui peuple le monde d’Ici-bas, au moins dans les esprits - là où les aléas font surgir cette entité maléfique dans l’un des carrefours de l’existence, le routard en face se doit de négocier intelligemment avec patience et lucidité comme le Dr. Faust de Goethe au lieu d'agir d'agir de façon à aller dans le chemin de sa perte comme Oedip  dans le Carrefour des Trois Routes. La question de Faust au diable: «Et quelle obligation devrai-je remplir en retour ?», ainsi que sa réplique à la réponse évasive de ce dernier «Non, non! Le diable est un égoïste, et ne fait point pour l’amour de Dieu ce qui est utile à autrui», demeurent la règle d’or de toute stratégie de négociation. Il n’y a que le poison et l’appât qu’on donne sans contrepartie déclarée.

Par définition, en plus de son égoïsme viscéral, qui lui a été rappelé par Faust, le diable est extraordinairement malin, la malice étant l’unique modus operandi dans lequel son intelligence défiant celle des divinités s’est développée. S’il fait une offre, comme dans un jeu d’échec, c’est toujours pour un énorme retour conçu et attendu mais jamais déclaré et avoué. Un négociateur averti est celui qui prend son partenaire de conjoncture pour ce qu’il est et non pour ce qu’il dit; un négociateur qui, de surcroit, est extralucide au sujet de ses propres potentialités sans illusions et sur ce qu’il est prêt à en concéder, sans être ruiné, en échange à l’offre de son partenaire. Dans le cas où l’on est acculé à traiter avec le diable, celui-ci ne produit rien de consistant qui rassasie comme le souligne Faust; ce n’est qu’un spéculateur qui se sert de ce que produisent les Autres. S’il te répond en vantant la qualité-X en toi comme étant la qualité qui l’intéresse en échange des offres qu’il te fait, alors même que ta lucidité te montre que c’est une qualité que tu n’a pas, c’est donc que la malice du diable vise autre chose en toi, et c’est à toi de la deviner pour pouvoir évaluer les termes du contrat.

 

3- Un Etat acculé à négocier avec le diable sous ses différentes incarnations

Le Maroc officiel a certes fait preuve, depuis plus d’une décade, d’un pragmatisme notoire face au diable d’Ici-bas et envers le Bon Dieu de Là-haut, un pragmatisme d’ailleurs largement souhaité même sur le plan de la réflexion de la société civile (par ex. Ici en Fr. et Ici en Ar.). Le point d’orgue de ce pragmatisme sur le plan de la conjoncture a été le récent discours du roi Mohammed VI au sommet Maroc-Golf de Riyad le 20 avril 2016 (v. texte Ici en Ar, Ici en Fr. et Ici vidéo). Un discours qui s’inscrit, sur un certain plan, dans la logique d’un dialogue "du berger et de la bergère" et vice-versa. Des dernières déclarations de SG de l’ONU, Ban Ki Moon en Algérie à propos du Sahara (v. Ici) aux récentes répliques indirectes du S.E Américain, John Kerry et et de l’ancien ambassadeur des USA au Maroc Samuel Kaplan (v. Ici), qui ont fait suite audit discours royal de Riyad.

 

Dans tout cela, le type de questions que Faust s’est empressé de poser dans ses négociations contractuelles avec son partenaire Méphistophélès reste le type à ne jamais oublier de poser dans la ruée et la mêlée de la conjoncture. Le Maroc se doit de ne pas se faire d’illusions sur ses propres potentialités et, par conséquent, sur ce qu’il peut échanger et ce qu’il consent, en connaissance de cause, à concéder dans tout contrat à conclure, et ce afin qu’on ne lui achète pas son âme en lui faisant semblant de s’intéresser à autre chose dont il ne disposerait pas en réalité et dont l’acquittement serait son âme comme prix dans une logique de prêt usuraire. A cet égard, sans verser dans l’exégèse kabbalistique, la question  ماذا يـريدون منّأ؟ ("Qu’attendent-ils de nous?") que le discours du souverain marocain a posée, à l’instar de Faust, en se référant à une catégorie des partenaires du Maroc, et qui constitue la raison d’être de ce discours, est une question valable aussi bien à la 3e personne du pluriel du verbe qu’à la 2ième personne dans le contexte perlocutoir du même discours.  

Une sous-catégorie de ces partenaires, traditionnellement qualifiés de ‘pays amis’ tels que ledit discours du souverain y fait d’ailleurs allusion, semble fortement avoir des agendas obscurs au sujet de ses provinces sahariennes du Maroc (v. Ici en Fr. et Ici en Ar.), alors qu’une autre sous-catégorie, également rangée parmi les ‘pays amis’ traditionnels, ne voit dans la récente présence économique rudimentaire du Maroc en Afrique de l’Ouest notamment qu’une sorte de sous-traitance au profit des riche pays du Golf pour qui le Maroc servirait d’entité de paille francophone (v. Ici). D'où la grande question du Maroc dans ce carrefour des trois chemins, pas comme les autres et qu'il n'a pas choisi d'emprunter (v. Ici).

 

C’est donc dans cette dernière direction que la réflexion collective se doit d’être menée, au lieu de se servir du discours royal sur "les menaces" comme d’un argument qui tombe à pic pour se mettre de nouveau à redévelopper les vieux clichés de théorie du complot globaliste, qui ne fait, à chaque fois, que changer de nom référentiel (Franc-maçonnerie, Communisme, Impérialisme, CIA, Mossad, ou même des BHL et Consortium) ou de se servir du terme "automne" (au lieu de "printemps") qui a été associé dans ce discours (dont la moitié fut consacrée à la question de l’intégrité territoriale du Maroc) aux révoltes de 2011 pour épiloguer sur la nature et les qualificatifs de ces soulèvements de masse et faire des procès d’intention politique à postériori; ces révoltes ayant déjà été décrites et décriées comme tel dans leur grande majorité, au plus fort de l'euphorie populiste des premiers moments de leur éclatement, et ce par de simples intellectuels qui ne se sont pas fait trop d’illusions à l’époque (par ex. 2011, Ici et 2013, Ici; textes en Ar.).

 

Mohamed Elmedlaoui

  



28/04/2016
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