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(En français) De la grande à la petite histoire du Sahara

Pendant que M. Ross est aux alentours:

De la grande à la petite histoire du Sahara

 (Texte publié dans quid.ma en octobre 2013)

 

 

"s'agissant des récents évènements de Layon, consécutifs à la énième mission de Christopher Ross au Maroc, «les observateurs et les chancelleries savent ce qui se passe. Chacun sait que je sais que tu sais que je sais… Mais le jeu continuera» (Quid.ma).

Apparemment, c’est dans le cadre de cette transparence réciproque de dupes qu’on a remis à l’émissaire onusien un exemplaire du beau-livre en trois volumes de l’historienne Bahija Simou "Le Sahara marocain à travers les archives royales", «une publication qui apporte la preuve, par le document, le manuscrit et par d’autres correspondances inédites, de la marocanité du Sahara» (Quid.ma).

 

Certes, sur le plan purement formel, M. Ross est un émissaire onusien, qui mène mission diplomatique dans le cadre du droit international en vigueur. Il n’est pas du tout un juge chargé d’une enquête par la Cour Internationale de Justice, qui a déjà rendu son verdict au sujet du Sahara il y aura bientôt 40 ans. Pourtant, étant donné toutes les interférences de fait, sur le plan pragmatique, entre droit international et enjeux géopolitiques des intérêts des puissances internationales, et à la tête les USA qui ont essayé il y a juste quelques mois d’imposer leur propre lecture de la mission de la MINURSO (v. Ici en ar.), il serait en fait judicieux que les défenseurs de ces intérêts en filigrane soient bien informées, de façon à bien  assoir l’usage subtil qu’on fait souvent du droit international pour défendre ses propres intérêts. C’est dans cette dernière perspective que la remise du livre de l’historienne, Bahija Simou, à l’émissaire onusien semble avoir un sens. Pour réunir plus de chances de réussir l’alchimie des interférences entre droit international et intérêts géopolitiques, les dimensions historiques de l’objet d’un conflit ne concernent pas en réalité uniquement les historiens intellectuels. Les diplomates et les stratèges y ont également assez à gagner. Mais, dans le cas ici concerné (la question du Sahara), il y a la grande et ancienne histoire, celle que documente le livre offert à M. Ross par exemple; mais il y a également et surtout la petite récente histoire, celle de l’émergence subite des concepts de ‘peuple sahraoui’ et de ‘auto-détermination’ pas plus loin qu’à l’été 1972 ainsi que celle de ce qui s’en est suivi (création du Polisario en 1973 puis celle de la RASD en 1976).

 

Avant "Abdelaziz le Marrakechi et Compagnie", il y avait un autre "Abdelaziz le Marrakechi et Compagnie". Ce dernier est connu sous le nom d’Abdelaziz Lemnebbhi (v. Ici en ar.). Le 17 août 1972 (le lendemain du coup d’état dans les airs), les commissions du 15e congrès estudiantins de l’UNEM qui venait d’être conquise par la mouvance marxiste de l’époque, Abdelaziz Lemnebbhi en tête, se sont enfin mises à l’œuvre à l’enceinte de la Faculté des Science d’Agdal à Rabat après trois jours de tractations de coulisses pour former le comité modérateur des travaux de ce congrès, tragiquement ponctués dans l’après midi du 16 août par les coups fracassants des bombardier d’Amoqran et Kouira à l’autre côté de l’enceinte de la Faculté, des bombardements que certains congressistes ont cru être de Mouammar Kadafi.

 

Parmi lesdites commissions du congrès, il y en avait une qui portait l’étiquette de ‘Commission de Palestine’ comme chapeau de déguisement pour ‘Commission du Sahara’, le Sahara constituant alors un enjeu pluri stratégique intérieur et régional. Ce jour-là au matin, un camarade de rang spécial insuffle au chef de ladite commission la directive des ‘camarades invisibles’: «certains camarades sahraouis vous rejoindront à la salle, donne leur donc la parole!». Chose faite: un groupe de cinq personnes entre dans la salle le moment venu. Le chef de la commission reconnaît du coup Elouali Mostapha Essayed qu’il avait perdu de vue depuis le moment d’études secondaires à l’Institut Islamique Mohamed V de Taroudant. Il lui donne immédiatement la parole. Elouali s’est contenté de faire un long et ennuyeux ‘copié-collé’ oral d’une série d’articles parus dans la version arabe de la revue Souffles (Anfaas) et qui font l’historique de l’installation des Espagnoles au Sahara et jusqu’aux évènements de Layoun 1970. Il a parlé des ‘masses sahraouies’ (al-jamaahiir as-sahraawiya) et de la classe ouvrière des mines de phosphate et non d’une "autodétermination" ni d’un "peuple Sahraoui". Pendant qu’il débitait sa longue répétition, le chef de la commission, d’un stylo Bic et sur un papier brouillon saumon, griffonna en toute vitesse un texte d’une page. Après quelques autres ‘interventions’ de formalités, le chef de la commission propose aux camarades une prétendue ‘synthèse des discussions’ comme "projet de résolution" de la commission. Le chef de la commission était très à jour de la littérature et de l’idée de "foyer révolutionnaire" cher à sa propre mouvance estudiantine et que devait amorcer la liquidation de la colonisation espagnole au Sahara. Il lit donc son texte, salué sur le champ à l’unanimité. Le slogan d’"autodétermination du peuple sahraoui" est ainsi né à la Faculté des Sciences de Rabat.

 

Les deux anciens camarades de l’Institut de Taroudant ne se sont même pas serrés les mains; chacun a même fait semblant de ne pas reconnaître l’autre, et Elouali s’éclipsa. Les responsables de l’UNEM, issus du 15 congrès arrêtés presque tous à la rentrée, l’UNEM interdite en janvier 1973 et quatre mois plus tard, on annonce la création du Polisario en mai 1973, c'est-à-dire trois mois après l’échec à Moulay Bouazza de l’entreprise d’autres révolutionnaires aventuriers venus de Lybie et infiltrés de l’Algérie. On apprend en même temps qu’Elouali fut récupéré par le régime de Kaddafi qui l’a immédiatement envoyé à la République Démocratique Allemande pour un stage militaire de six mois.

 

L’Algérie de Boumediene, qui pendant tout ce temps s’occupait plutôt de la logistique et de la préparation de l’élément humain d’une façon plus discrète et maligne que les gesticulations de Kaddafi, fut par la suite prise de court par l’organisation de la Marche Verte par Hassan II en 1975 suite au verdict de la Court de Justice Internationale qui reconnut les rapports d’allégeance des populations sahraouies vis-à-vis de la royauté marocaine. Ould Zeyyou, dit alors "Président du Conseil National Sahraoui", proclama donc en Algérie la naissance de la RASD. Et … un soir quelques mois par la suite, en regardant la chaine de TV algérienne, l’ancien chef de la "Commission de Palestine" du 15e congrès de l’UNEM redécouvre un autre ancien ami de classe du même Institut Islamique de Taroudant. Il s’agit du premier ‘Premier Ministre’ de la RASD. Mais l’ex-chef de commission découvre en même temps que son ancien ami, Mahmoud Elleili de la ville de Tantan s’appelle désormais sous le manteau de premier ministre ‘Mohamed Lamine Oueld Ahmed’. Il deviendra par la suite simple ‘Ministre de l’Enseignement’ puis ‘Conseiller auprès de la Présidence’ de l’autre Abdelaziz le Marrakechi, avant de disparaître de la circulation.

 

Peut être que cette ancien ami, camarade de classe de l’ex-chef de la commission de Palestine/Sahara, garde toujours leur photo de classe (4e–B), prise à la fin de l’année scolaire 1966-1967) avec leur professeur américaine d’anglais, volontaire à l’époque du ‘Peace Corps’ sous le nom de Miss Cunningham, et qui s’appelle maintenant là ou elle se trouve Anne O’connell. Il ne faut surtout pas que cette photo tombe sous les yeux de Christopher Ross si jamais celui-ci accorde une importance à la petite et/ou à la grande histoire.

 

Mohamed Elmedlaoui



16/03/2016
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