Hommage à Simon Lévy
Témoignage en souvenir de Simon Lévy
Mohamed Elmedlaoui
Le Maroc vient de perdre (2 déc. 2012) un grand militant nationaliste, progressiste et démocrate, feu Simon Lévy, qui a su et pu tenir tête, avec une énergie exceptionnelle sa vie durant, face à l’esprit régressif et incivil de toute sorte, aussi bien sur le plan intellectuel que dans l’arène politique.
Le Maroc a également perdu un grand intellectuel qui a su mobiliser tout son vaste savoir académique et toute son action sur le terrain (réhabilitation de lieux de mémoire à travers le Maroc, lancement du Musée du Judaïsme Marocain à Casablanca, etc.) pour démystifier la mémoire et l’histoire de la société marocaine dans toute sa diversité et la soustraire au réductionnisme du communautairement, politiquement, et idéologiquement correcte.
On a toujours eu angoissé lorsque Simon Lévy prend la parole en public, car la véhémence de ses convictions rend par fois ses propos trop rugueux pour toute sorte de ‘X-ement’ correcte. "Il n’a jamais cédé sur l’essentiel" (A. Azoulay dans son allocution funèbre), mais sans jamais sombrer dans le dogmatisme.
Par son départ, un grand dialectologue aussi et un fin connaisseur de l’histoire de l’ancestrale diversité linguistique du Maroc viennent également de nous quitter (sa thèse monumentale sur la dialectologie marocaine attend toujours d’être publiée). Bref, un ‘trou noir’ se crée dans l’espace intellectuel marocain, et un ‘silence radio’ pesant, inquiétant et qui menace d’être terrible, s’installe sur le spectre des fréquences spéciales qu’animait la voix de Simon Lévy.
C’était un nationaliste démocrate engagé et un académicien marocain de premier ordre. Sur le plan symbolique, son attachement à sa marocanité peut être résumé à travers une anecdote récurrente chez lui: il ne ratait pas une occasion pour corriger toute personne de ses compatriotes qui l’appelle Simon ou le présente comme tel à autrui. Il tenait au εayn et au shîn (ع، ש) de son prénom sous sa forme marocaine : Shemεoun, (שמעון, شمعون) tout comme feu Haïm Zafrani tenait mordicus au εayn de son nom sous sa forme marocaine: Zεefrani ((voir Ici) ).
Que l’Eternel ensevelisse les deux âmes dans les robes de Sa Miséricorde.
Mes rapports directs avec Simon Lévy remontent à peine à une vingtaine d’années. Mais depuis, nous avons tissé une forte relation intense en échange dans les domaines de la recherche en linguistique et en culture marocaine dans ses dimensions plurielles. Deux grands moments ont marqué ces échanges: d’abord lorsqu’il participa au Premier Congrès des Etudes Chamito-Sémitique que j’avais dû délocaliser d’Oujda où je travaillais, à
En fait, grâce à nos précédents échanges et à la générosité de Simon, qui me passait régulièrement des photocopies de documents rares, j’avais déjà personnellement pu avoir accès à un grand nombre des articles qui constituent les premières moutures des chapitres de ce formidable ouvrage. Voilà enfin un ouvrage qui réunit une large partie du fruit d’un quart de siècle de travaux antérieurs consacrés par Simon à la culture judéo marocaine en général et à la communauté juive marocaine en particulier, mais qui restaient disséminés dans le temps et dans l’espace libraires. Il mit ainsi certains des travaux de l’auteur à la portée notamment de cette «large proportion de la société marocaine qui n’a plus de cette communauté qu’une connaissance indirecte, ‘par ouï-dire’», surtout que «nombreux sont les jeunes pour lesquels les termes ‘Juif’ ou ‘Israélite’ n’évoquent qu’Israël, sionisme et conflit du Moyen Orient» (p. 29). Cet ouvrage met également ces travaux à la portée de l’ancienne génération de Juifs et de Musulmans, dont la mémoire est sujette depuis des décades à la logique bien connue de reconstruction de toutes sortes sous les coups d’un demi-siècle d’actualités surchauffées en permanence.
Le fil conducteur qui relie tous ces articles, échelonnés sur un quart de siècle, est une approche qui rompt avec le simplisme réducteur de tout esprit communautariste pré-citoyen, l’esprit qui consiste à écrire l’histoire évènementielle et/ou culturelle d’un pays en fonction du critère de ce qui est considéré a priori comme ‘bon’ ou ‘mauvais’ pour une communauté ou pour une autre. En plus, l’approche générale de l’ouvrage fait régulièrement un va-et-vient constant et complémentaire entre le socio-économique et le socioculturel: quoique certains concepts et catégories du matérialisme historique soient mise à l’œuvre dans l’analyse (‘moyens de production’, ‘destruction de l’artisanat par le capitalisme’, ‘mode asiatique de production’, etc. pp. 95, 96), les dimensions identitaires immatérielles et leurs présence et influence dans l’action historique n’ont jamais été dogmatiquement évacuées; au contraire c’est ce qui fait le cœur même du sujet de l’ouvrage. Partout, Simon Lévy décrit d’abord, essaie ensuite d’expliquer, mais il ne cherche jamais à justifier dans un sens ou dans un autre.
Pour ce qui est des temps modernes, une grande question paradoxale occupe une place centrale dans la pensée de Simon Lévy dans cet ouvrage. Elle se résume en une thèse et un constat. La thèse est que l’Indépendance du Maroc a fait des Juifs marocains des citoyens selon lui; et le constat, selon lui toujours, est la passivité relative de la communauté juive, en tant que communauté, durant la lute de l’indépendance puis le ‘vent fou’ qui déclencha la vague de migration de cette communauté hors du pays. L’ouvrage revient souvent sur cette question qui hante grandement l’esprit de l’auteur. Il la pose de façon académique documentée et avance des explications. Cette attitude morale et académique vis-à-vis des faits a d’ailleurs entraîné sur Simon Lévy les foudres, de part et d’autre de certaines franges des ses concitoyens, toute confessions confondues, qui n’appréhendent la réalité qu’à travers le prisme communautaire.
Mais, si Simon Lévy se sent parfois se trouver dans sa vie entre deux chaises à cause justement du communautarisme de tout bord, sa disparition le vendredi 2 décembre
Alors on se demande en quelles autres occasions une telle communion nationale fut réalisée dans le respect de la diversité. L’absence de la voix berbère amazighe en cette occasion me semble n’être qu’une question de rythme d’évolution des habitudes et non plus une attitude de principe dans les esprits.
Ces funérailles sont dignes de l’homme de mérite que fut Simon Lévy ainsi que de sa mémoire; elles font en même temps honneur à sa patrie qui témoigne ainsi toujours de l’essentiel dans les moments décisifs, par delà les vicissitudes du conjoncturel.
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