(EN FRANCAIS) Les anges ne comprennent pas l''araméen
Les anges ne comprennent pas l’araméen.
Le commerce du verbe est loin d’être limité aux spéculations théophaniques ou aux engoisses existentielles (voir Ici), comme risque de le faire entendre le titre de ce texte. En cliquant sur le renvoi en hypertexte à la fin du texte, on trouve un exemple pragmatique concret qui prouve cela.
Parmi les assertions célèbres de l’écrivain aventurier et personnage politique français, André Malraux, aux tendances humanistes de l’expérience de l’après Grande Guerre et de l’époque de décolonisation, il y a ce que l’on lui prête sous différentes expressions : «Le XXI siècle sera religieux ou ne sera pas».
Dans le cadre du malaise intellectuel généralisé en son temps, d’une impression de "la fin de l’histoire" avec l’équation à règles calculées des deux pôles de l’après guerre, alors que l’Europe, à travers l’embryon de la CEE et avec la politique gaulliste de la France notamment, tentait d’émerger comme entité distincte pour briser ce bipolarisme à sa façon, cet intellectuel et homme d’Etat a aussi déclaré en 1974 que «Politiquement, l'unité de l'Europe est une utopie. Il faudrait un ennemi commun pour l'unité politique de l'Europe mais le seul ennemi commun qui pourrait exister serait l'Islam». (v. Ici).
André Malraux, qui connait ce que c’est que la guerre, du fait qu’il en a fait lui-même l’expérience pour avoir combattu aux côtés des républicains contre le fascisme lors de la guerre civile en Espagne, et en s’engageant par la suite dans la résistance contre le nazisme en France, et qui est connu par ses prises de position contre les guerres coloniales face aux mouvements de libération en Indochine et en Algérie notamment, était pourtant un personnage bien connu sur le plan intellectuel pour son rejet de toute sorte de dogmatisme politique, philosophique ou confessionnel. Il ne croyait qu’aux dimensions sublimes de l’Homme, qui, selon sa conception, ne sauraient pas être réduites ni à la seule consommation des biens et des services, ni à un simple emballage dogmatique de la pensée de l’Homme sur un plan collectif.
Comment donc André Malraux imaginait-il les traits du XXI, dans le cas où celui-ci aurait la chance d’exister selon lui, i.e. dans le cas où ce siècle dans lequel nous vivons aujourd’hui, opte pour le religieux? S’il l’imaginait comme un siècle où l’Histoire recouvre de nouveau l’initiative imprévisible de surprendre de par ses soubresauts sous forme de bouleversements de guerres, à chaque fois créatrices en ce qui concerne leurs logiques et les formes et manifestations de terreur et d’horreur, alors la prophétie de Malraux se serait avérée exacte, y compris le rôle qu’elle accordait à l’Islam dans l’évolution. Mais si par ‘religion’, Malraux entendait plutôt ce qui était connu, dans le sillage du vieux romantisme français, comme ‘religiosité’, un spiritualisme libéral où les dimensions de l’Homme ne se laissent réduire ni à un matérialisme de simpliste de production et consommation de biens et services, ni à un emballage dogmatique collectiviste de la pensée et du comportement, alors, c’est l’Histoire qui aurait confirmé encore une fois son historicisme et sa ruse, une ruse dont les chemins et tours sont impénétrables, et qui défie par là précisément et se moque de toutes les prophéties des Hommes.
Convaincu empiriquement et par constat au quotidien, et non par prophétie ni par déduction, que le système des dogmes confessionnels s’est restauré de nouveaux dans sa cyclicité comme un nouveaux-ancien format de création des surprises de l’Histoire, un curieux parmi les curieux a été poussé par curiosité d’exotisme, à revisiter au hasard quelques bouts de la surabondante littérature de ces systèmes de dogme confessionnel qui reviennent avec force. Il prit au hasard un livre des Saintes Ecritures et l’ouvra comme pour jouer au sort. Il tomba sur un passage dont la genèse remonte au Talmud, et se mit à lire. Le curieux y apprend que «Les anges ne comprennent pas l’araméen» ("המלאכים לא מבינים ארמית" Guémara; Schabat:2b; Sota:33a). Cela veut dire que ces êtres supérieurs ne comprennent pas la langue vivante que parlait le public des Fils d’Israël à l’époque talmudique, à savoir l’araméen, dans lequel les rabbins de l’époque dits ‘Tanna’im’ ont commencé à faire des commentaires exégétiques sur la Bible hébraïque qui fut écrite en hébreu biblique, que le commun du public ne comprenait plus.
La morale du passage en question est que quiconque fait une prière dans cette langue vivante et en usage quotidien à l’époque, qu’était l’araméen, n’aura certainement pas d’exauce de la part de l’Eternel, faute de transmission par les anges gardiens de ce qu’il aurait prononcé (v. Ici en héb. et Ici en fr.); car les anges en général, à part Gabriel qui est polyglotte, ne comprennent que le Lashon Qodesh (לשון קדש), à savoir l’hébreu biblique.
Le curieux s’est dit avec soi-même avant de répondre à l’appel sollicitant du marchand de sable: de deux chose l’une :
(1) Soit que les vicissitudes terre-à-terre d’ici-bas de l’évolution multiplicative des différents formats et cadres confessionnels du rapport de l’Homme à l’Eternel, ont emmené en fin de compte ces êtres supérieurs célestes que sont les anges à se résoudre à une formation continue d’apprendre non pas seulement une autre langue qui vécut après l’hébreu biblique et l’araméen tour à tour, et qui s’est éteinte par la suite à son tour, après que des dizaines et dizaines de générations l’eurent utilisée même après sa disparition de l’usage communicationnel, pour prier devant l’Eternel, à savoir le latin; mais à apprendre également des langues ostensiblement profanes et prosaïques comme l’anglais, le français, l’espagnole et une multitude de dialectes latins, germaniques, slaves, saxons, et des variantes de toutes les familles de langues par lesquelles l’Eternel fut sollicité par des centaines de milliards de fidèles pieux dans la cadre des formats judéo-chrétiens de la croyance, et ce depuis que le réformateur du circuit communicationnel entre l’humain et le divin, Marthin Luther, eut l’audace de traduire la Sainte Bible dans un dialecte germanique du commun du peuple, qui est devenu par la suite la langue de Goethe, Hegel, Nietzche, Heidegger, et autres, à savoir l’allemand.
(2) Autrement, les prières et les oraisons des centaines de générations de grand-mères et grand-pères du commun des peuples seraient de purs vains bourdonnements des siècles, faute de communication avec le Ciel à cause du dogmatisme linguistique même dans les rangs des esprits célestes, selon le passage mentionné plus haut.
Dans son livre Jerusalem, or the religious power of Judaism, Moïse Mendelssohn avait déjà montré les contradictions de la conception qui subordonne l’accès à la Foi à une révélation surnaturelle, et le Salut de l’Homme au fait de communiquer avec le l’Eternel (au moins via un intermédiaire) uniquement dans une langue particulière ayant un lexique précis de vocables phonétiquement articulés dans un système phonologique et morphologique particulier, et ordonnés selon une syntaxe particulière, une langue qui serait accréditée comme seul système de communication que le Très Haut accepte. Selon Mendelssohn, aussi bien que John Locke et Spinoza, une telle conception est tout simplement en contradiction avec l’idée rationnelle première de toute Justice divine et de l’Amour de Dieu pour l’humanité.
Le manège de cet enjeu d’uu monopole de caste en matière de communication et de prise de parole ne concerne pas, en fait, uniquement les prières des fidèles auprès du Ciel depuis l’époque mythique de la langue céleste unique de Babel; il se pose également Ici-bas à toute époque dans le domaine terre-à-terre de la gestion de l’affaire publique (v. Ici).
Mohamed Elmedlaoui Lamnabhi
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