Le patrimoine immatériel marocain: un lieu d'interférences culturelles
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Le Patrimoine: Pont de dialogue interculturel au profit des jeunes. Colloque organisé par
Le patrimoine immatériel marocain:
un lieu d'interférences cultuelles
Mohamed Elmedlaoui
Institut Universitaire de
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Introduction
Comme l'annonce le titre du colloque, notre sujet est "Le patrimoine: Point de dialogue interculturel au profit des jeunes". Ce dialogue interculturel peut être mené sur plusieurs plans et secteurs. Mais, comme l'a bien rappelé et souligné notre ami Jaques Levrat en parlant spécialement du secteur religieux, le but de ce dialogue ne consiste pas à ce qu'une partie cherche à convaincre l'autre et encore moins à la "apprivoiser". Il s'agit plutôt pour chaque partie d'essayer d'améliorer sa propre connaissance de l'idée qu'elle se fait d'elle-même, et ce par le biais d'une meilleure connaissance de l'autre partie à travers l'écoute et l'effort de la découverte. Et si la religion plus particulièrement, et la culture identitaire en générale, ont acquis ces derniers temps une importance accrue pour toute stratégie de favorisation du dialogue, c'est dans la mesure où beaucoup de conflits qui secouent notre temps et qui sont en réalité de nature d'intérêts concrets de ce monde ici-bas en termes politiques, géoéconomiques et géopolitiques, ont souvent été présentés et perçus par conséquent par le public commun comme des conflits irréductibles d'essence religieuse (guerre de religion), culturelle et civilisationnelle (choque des civilisations). A ce titre, et pour revenir au but du dialogue, M. André Azoulay ici présent parmi nous a souvent répété qu'il n'y a pas de choc de civilisations mais qu'il y a plutôt des chocs des ignorances.
Pour contribuer à cet approfondissement de la connaissance de soi à travers la connaissance de l'autre et/ou de l'Autre, je parlerai de cinq aspects d'interférence qui marquent la culture marocaine, eu égard à sa composante juive, que nous gardent les différentes manifestations du patrimoine immatériel marocain.
1- Un lexique comme patrimoine immatériel
Dans une étude antérieure (Elmedlaoui 2006 "Traduire le nom de Dieu dans le Coran : le cas du berbère". Etudes berbères III : Le nom, le pronom et autres articles, Köppe Verlag, Köln. Pp 105-115), j'ai montré à quel point le lexique de la langue berbère, un aspect du patrimoine immatériel, nous garde des traces des profondeurs de ce que nous sommes dans notre pluralité qui traverse même le plan du dogme religieux. Je suis parti d'une question simple: pourquoi ce lexique qui a emprunté et berbérisé tant de vocables à la langue de
Relativement à la question du nom de Dieu (sec. 1.2.) dans son rapport avec l'onomastique berbère en général, on relève la présence notable du terme Yahu (qui est la vocalisation des trois lettres YHW du tétragramme, YHWH, nom de l'Eternel) dans le lexique berbère: on l'invoque toujours encore aujourd'hui dans les aires de dépiquage des céréales chez les berbères du Sous, soit tout seul, soit en pléonasme avec une locution arabe empruntée qui en constitue le calque. On crie: "ya-LLAH, ya-LLAH! wa-YAHU, wa-YAHU!". D'autre part; Il n'y a pas que les Patriarches et les grands personnages de
Enfin, même au niveau du culte, le lexique berbère témoigne encore des indices de beaucoup de type de syncrétismes qui ont dû s'opérer durant le passage du culte judéo-chrétien au culte musulman avec l'islamisation progressive. Un exemple éloquent est le terme, dans ce lexique, pour le sacrifice, à savoir ta-faska. On y reconnaît le mot araméen pasqa (d'où dérive d'ailleurs le mot "pascal" en français même) qui renvoie au rite de l'agneau pascal de la tradition juive. Avec l'avènement de l'Islam, ce rite qui mémorisait
Finissons cette section en signalant un autre aspect du patrimoine matériel/immatériel, de nature parareligieuse cette fois; c'est le culte des saints. Comme l'ont montré beaucoup d'études dont notamment celles de Voinot et d'Isachar Ben Ami, beaucoup de saints au Maroc sont vénérés à la fois par les Juifs et les Musulmans (Sidi Yhya Ben Jonas/Younes à Oujda, Saydna Danial à Tagmout, etc.). Ici je me contente juste d'attirer l'attention encore une fois sur le même titre, Sidi / Sid-na, que portent ces saints au Maroc, à la différence encore une fois des cas des saints en Orient; ce titre n'est, comme nous venons de le dire, qu'une traduction de l'arabe marocain du titre d'origine Baba du berbère, qui rend en un syncrétisme les notions de paternité et de séniorité à l'instar du terme Rabbi en hébreu. D'ailleurs, certains saints du Maroc gardent toujours la forme berbère d'origine, tels les cas des saints Baba Sali dit également Rbbi Sali (à Tafilalt) ou Baba Haqqi (à Tafilalt et à Ida Umasattog).
2- Tradition orale comme patrimoine immatériel
Ici, je signale juste un autre aspect d'interférence qui prend cette fois la forme d'une véritable intertextualité au sens technique du terme, quoique relevant lui aussi du religieux et du parareligieux. Il s'agit d'une charade pour enfants, celle dont notre amie la cantatrice Françoise Atlan nous a chanté ici même à Dar Souiri une version espagnole. Au Maroc, cette charade a une version juive en hébreu dite ehad me yodeaâ ? ("Un, qui sait ce que c'est?"), et une version musulmane en berbère dite ma igan yan ? ("Qui est un?"). La première est chantée par les enfants juifs durant la nuit du Pessah (pâque juive) et la deuxième, par les petits écoliers coraniques au terme d'une journée d'étude. La première contient 13 questions, la treizième ayant pour réponse "les treize fondements de la foi (en Judaïsme)", et la deuxième en contient 12, la douzième ayant pour réponse "les douze mois (de l'an)". Les deux versions se recoupent au niveaux de certains numéros de questions dont le numéro "Un" duquel la réponse est "C'est Dieu" dans les deux versions, et le numéro Onze dont la réponse de la version juive est "les 11 étoiles (qu'a vues Joseph dans son rêve)", et celle de la version berbère musulmane est "les frères de Youssouf", ce qui revient au même (voir les textes des deux charades dans la référence suivante:
ÇáãÏáÇæí 2006 "ãä ÚäÇÕÑ ÇáËÞÇÝÉ ÇáíåæÏíÉ Ýí ÇáÊãÇÒÌ ÇáËÞÇÝí ÇáãÛÑÈí ãÍÇßÇÉð æÍßíǺ äãÇÐÌ ááÊäÇÕø Èíä ÇáÚÈÑÇäíÉ æÇáÃãÇÒíÛíÉ æÇáÚÑÈíÉ". ÇáÍßÇíÉ ÇáÔÚÈíÉ Ýí ÇáÊÑÇË ÇáãÛÑÈí. ãæÖæÚ áÌäÉ ÇáÊÑÇ˺ ÈÇáãÔÇÑßÉ ãÚ ÇáÌãÚíÉ ÇáãÛÑÈíÉ ááÊÑÇË ÇááÛæí. ãØÈæÚÇÊ ÃßÇÏíãíÉ ÇáããáßÉ ÇáãÛÑÈíÉ - ÇáÑÈÇØ. ÓáÓáÉ "ÇáäÏæÇÊ". Õ: 229-264
3- Les symboles des représentations visuelles
Contrairement au Christianisme, tel qu'il a fini par évoluer sur le plan des représentations visuelles en interférence avec la tradition plastique gréco-latine, l'Islam a continué la tradition abrahamique sous sa forme juive qui bannit toute représentation anthropoïde en vertu du deuxième des Dix Commandement: lo taâase lekha pesel u-kol temunah" Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque!" (Exode: 20). C'est la calligraphie, l'enluminure, l'arabesque et, dans une moindre mesure, les représentations fauniques, qui ont fait office d'arts plastiques dans la tradition de ces deux religions. Cela se voit à travers notre environnement architectural, de broderie, d'artisanat et de toute sorte d'arts décoratifs y compris les différents systèmes héraldiques. Dans la même étude signalée plus haut en arabe et présentée au début dans un colloque organisé par l'Académie du Royaume du Maroc, je me suis penché sur certains éléments de l'héraldique marocaine, notamment les sceaux royaux, la monnaie, les médailles, le drapeau et plus particulièrement le Al-Wissam Al-Mohammadi qui est devenu le blason du royaume. Ce qui est important et significatif au terme de cette étude, est le rôle que jouent dans tout ces arts certains éléments comme le pentagramme dit hatam shlomo ("sceau de Salomon": étoile à 5 branches), l'hexagramme dit maggen David ("bouclier de David": étoile à 6 branches), les lions de Judée et tout l'ouvrage dit keter torah ("couronne de
4- Les arts musicaux comme patrimoine immatériel
Les arts musicaux participent largement et profondément à forger l'idée qu'une communauté se fait de son identité. Et pour ce qui est du Maroc, un pays exceptionnellement riche en genres musicaux très variés en rythmes (binaires, ternaires, quinaires) en échelles (heptatoniques, pentatoniques), en modes et en langues de paroles (arabe classique, différents accents d'arabe marocain, différentes variantes du berbère, hébreu, judéo-arabe, etc.), on sait depuis longtemps que certains de ces genres tels que l'andalusi, le gharnati, le shaâbi citadin, etc. ont fini par franchir les frontières avec la diaspora marocaine de toute sorte vers d'autres horizons. Je me limite ici pourtant à un seul cas, le moins connu, puisqu'on n'imagine pas jusqu'ici que des genres comme l'ahwash berbère de l'arrière pays dans les hauteurs de l'Atlas a une si forte teneur identitaire et une si grande force de résistance aux vicissitudes des changements d'environnements ethniques, socio-économiques civilisationnels qu'entraîne l'immigration. Pourtant, ce genre musical dansant des hauteurs de l'Atlas est un véritable genre "accrocheur". Grâce aux travaux Joseph Chetrit et de Sigal Azaryahu, notamment son master en hébreu et son PhD en train de préparation à l'Université de Louvain, on dispose aujourd'hui d'études et de documents nous montrant d'anciens Juifs de l'Atlas (Tidili et Aït Bougmmaz notamment) fêtant toujours leurs heureuses occasions (mariage, naissance, bar-mitzva, cycle agraire) par des cérémonies d'ahwash avec des tambourins chauffés au feu de joie avec des rythme quinaires, des airs mélodiques pentatoniques dont certains sont maintenant perdus dans leur pays d'origine et un répertoire de paroles articulées en un berbère sans aucun soupçon d'accent. Nous avons tous et toutes eu l'occasion et le plaisir, au terme de notre rencontre à Essaouira, de voir projetés des spécimens de cet ahwash joué en 1999 par des habitants des localités d'Adert et de Shokeda aux environs d'Alquds/Jérusalem. Voila donc un autre aspect de ces interférences culturelles qui traversent les profondeurs de notre identité collective. En rappelant ces aspects d'interférence à la zone de notre conscience vive, on ne deviendra que plus authentiquement nous-mêmes en entier.
5- Une littérature vivante partagée
Je termine mon exposé par rendre hommage à une littérature vivante qui, malgré les vicissitudes des aléas de l'histoire, continue et perpétue toujours cette interférence culturelle en outre-mer après les différents types d'immigration qui ont toujours marqué l'histoire du Maroc. Dans une communication faite lors d'une table ronde organisée le 20 février 2009 au Salon du Livre et de l'Edition de Casablanca par le Conseil de
On voit donc clairement combien le fait d'accorder une importance aux différents aspects du patrimoine matériel et immatériel ne nous qualifierait pas seulement à connaître les autres, mais il nous qualifierait surtout à bien nous connaître nous-même dans toute notre plénitude.
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