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NOTE SUR MAIMONIDE (Dans la lignée des 'Moise')

NOTE SUR MAIMONIDE (Dans la lignees des 'Moïse')

 

                                                                  Mohamed Elmedlaoui

                                               11 09 1997

 

 

Note adressée – suite à une commande     à M. Mohamed Mezzin, doyen de la Faculté des Lettres Says-Fes (une copie en a été transmise à feu H. Zafrani vers le mois de mai 1999)

 

 

Cher collègue,

Voici la note sur RAMBAM (Rabbeinu Moshe Ben Maymun) connu en Occident sous le nom de Maimonide.

 

D'abord, un calembour significatif hébraïque qui dit: ממשה עד משה לא קם כמשה (memmoshe 'ad moshe lo qaam kemmoshe), ce qui veut dire : "de Moïse [le prophète] jusqu'à Moïse [Maimonide], il n'y eut personne à la hauteur de Moïse [le prophète]).

 

C'est par ce calembour que la tradition judaïque cherche à situer Moïse Maimonide dans la hiérarchie des personnages du judaïsme universel. Ce «pèlerin du monde intellectuel judéo musulman», selon l'expression de H. Zafrani, est la concrétisation achevée et symbolique de toute une époque que beaucoup de gens évoquent aujourd'hui avec une nostalgie quasi mystique: l'époque où la civilisation de l'Occident Musulman réussit une formidable symbiose culturelle où les éléments ethniques, linguistiques et confessionnels de tout un espace humain pluriel sont arrivés à fonctionner en une véritable complémentarité, sur les plans intellectuels et socio-économiques au moins.

 

            Natif de Cordoue (1135), et de confession juive, Maimonide (ou RAMBAM), dont la tradition fait remonter la lignée à la maison royale de David, se fit docte à la fois en pensée juive et en pensée arabo-musulmane de l'époque, ce qui lui permit d'enrichir les deux manifestations d'un monothéisme triomphant et de faire le pont entre elles.

 

En un théologien de l'envergure d'un certain ÍÌÉ ÇáÅÓáÇã¡ ÃÈæ ÍÇãÏ ÇáÛÒÇáí ("Autorité de l'Islam", Abu Haamid Al-Ghazali), et en un philosophe à la hauteur du grand Averroès (ÃÈæ ÇáæáíÏ ÇÈä ÑÔÏ), Maimonide dota le judaïsme de l'édifice d'une théologie structurée, d'un code moral et de droit raisonnés, qui n'ont rien à envier aux œuvres d'Al-Ghazali, d'Averroès et du droit musulman, tous développés dans des conditions intellectuelles où l'Islam était officiellement religion d'Etat.

 

            L'interférence de l'Arabe et de l'Hébreu, des caractères arabes et hébraïques, dans l'œuvre colossale de RAMBAM est le parallèle symbolique de l'itinéraire formidable de cette grande figure du judaïsme et de la société plurielle qui l'a produite : ni son statut civil particulier dans la cité, ni les fonctions religieuses au sein de sa communauté, ni la stature confessionnelle particulière, n'ont pu empêché Maimonide, ni de l'intérieur de sa propre communauté, ni de l'extérieur, d'enseigner sa science dans la grande et ancestrale université musulmane d'Al-Qarawiyiin à Fès, ni de finir, au Caire, comme médecin personnel du Kurd, Saladin (ÕáÇÍ ÇáÏíä ÇáÃíæÈí), grand héros musulman face aux croisades et libérateur  (en 1187) de l'éternelle Jérusalem/Al-Qods de l'emprise des Croisés (Roi de France et Richard Cœur de Lion).

 

            Comme pour tout grand personnage et toute grande figure, la légende s'empara du coup de Maimonide, et les tendance prosaïques, réductrices et unidimensionnelles de la vox populi de tout temps, souvent 'manichéenne' d'esprit, ne purent, faute de pouvoir embrasser le multidimensionnel de l'Universel, que se retrancher dans un coins ou dans un autre de la controverse au sujet de l'envergure, de la nature, de la portée, de la profondeur, du continuum et de la pérennité de ce grand esprit: s'est il converti (à un certain moment) à l'Islam? Volontairement et sincèrement?, ou superficiellement et sous contrainte?, se demandent les esprits que dérange l'Universel par les latitudes de son universalité.

 

Ce ne sont pas là, de toute évidence, les questions les plus intéressantes pour un esprit libre qui refuse de s'emprisonner dans la conjoncture et la contingence de la petite l'histoire, l'esprit de tout «homme éminent en sagesse, pleinement maître de soi, ne se laissant dominer à aucun égard par ses passions, mais au contraire, triomphant sans cesse, grâce à sa raison, de la partie passionnelle de son être et possédant une vaste et très sûre intelligence; […] un homme qui ne cesse de tendre à la sainteté, qui marche loin de la commune voie du peuple qui chemine dans les ténèbres des opinions passagères, et qui se tient toujours sur ses gardes contre lui-même et accoutume son âme à n'avoir de pensée pour aucune des frivolités ni des vaines combinaisons du siècle» (Maimonide, p. 84-85).[i]

 

Des questions presque de même acabit se sont posées, d'ailleurs, plusieurs siècles après, à propos d'une troisième grande figure de la lignée des Moïses, à savoir Moïse Mendelssohn (1729-1786), l'auteur du formidable Jérusalem, où il souligne notamment que «Ne craint guère Dieu, quiconque n'épargne pas l'Homme», propos à méditer en ces temps où d’horribles atrocités sont de nouveau commises au nom de l’Eternel, et qui dit aussi magistralementet (p. 33) en matière du rapport entre les deux grandes institutions qui régissent la condition de l'Homme, à savoir de l'Etat et de la religion, comme pour nous parler à nous d'aujourd'hui : «Lorsqu'elles entrent en conflit l'une contre l'autre, ce sont les humains qui deviennent les victimes de leur discorde; et lorsqu'elles tombent d'accord, le trésor le plus noble de la félicité humaine se trouve perdu; car elles tombent rarement d'accord si ce n'est pour chasser de leur royaume une troisième entité morale, la liberté de conscience, qui sait pourtant comment tirer quelques avantages de leur dissociation».[ii]

Mendelssohn, s'est il donc, lui aussi, converti au christianisme?, se demandent d'autres ? l'aurait-il fait sincèrement ou par calcul?, etc.

Décidément, on ne pose pas toujours des questions intelligentes, et tous les efforts investis à répondre aux questions médiocres, qui sont les plus nombreuses parce que relevant de l'opinion et du 'bon sens' commun, ne font que nourrir la médiocrité et lui donner corps et longue 'vie'.

 

                                                                                              11 09 1997

                                                                                              Mohamed Elmedlaoui



[i] Maïmonide, Moïse (éd. 1961) Le livre de la connaissance. Traduit de l'Hébreu par Valentin Nikiprowetzky  et André Zaoui. Presse Universitaire de France.

 

[ii]  Mendelssohn, Moses (English translation, ed. 1986) Jerusalem; or on religious power and Judaism. Translated by Allan Arkush. Introduction and commentary by Alexcander Altmann. Brandeis University Press.



29/12/2007
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