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L'odyssée berbère des Galand (Hommage)

Trois textes:

I     Hommage au Galand, Pualette et Lionel (2006)

II   Présentation d'un ouvrage de L. Galand (2010),

III  Condoléances suite au décès de P. Galand (2011)

 

 

 

I

 

HOMMAGE

PAULETTE GALAND-PERNET  ET LIONEL GALAND

 

(À la Faculté des Lettres et des sciences humaines – Rabat 27 juin 2006)

  

"L'odyssée berbère des Galand"

 Par  Mohamed Elmedlaoui

Institut Royal de la Culture Amazighe

 

 

 

En guise de prologue

 

L'université marocaine moderne vient de fêter son cinquantenaire, notamment par la tenue du colloque «De l'avenir de la faculté des lettres» à l'amphi Idrissi de la Faculté des Lettres de Rabat les 10, 11, et 12 décembre. Les intervenants ont été unanime sur un constat de crise profonde qui caractérise le profil actuel des facultés des lettres au Maroc, toutes moulées sur le modèle du nouveau profil qui avait été donné au lendemain de l'Indépendance à ce qui était Institut des Hautes Etudes Marocaines, notamment après avoir vidé celui-ci de beaucoup de disciplines de sciences humaines, telles que les études dialectologiques, sociolinguistiques et ethnographiques.

En ce moment de questionnement et de dressement de bilan, il me semble tout à fait à propos de reproduire ci-dessus le texte d'un témoignage personnel que j'ai fait le 27 juin 2006 lors de la cérémonie d'hommage rendu par l'Institut Royal de la Culture Amazigh, à l'initiative de son Centre d'Aménagement Linguistique, au couple des Galand, deux autorités scientifiques qui ont marqué ladite institution de leurs empreintes. 

 

Le texte du témoignage

 

Madame Galand-Pernet, Monsieur Lionel Galand, Monsieur le recteur de l'IRCAM, Monsieur le secrétaire générale de l’IRCAM, Mesdames et Messieurs.

 

Je remercie le comité d'organisation de m'avoir permis d'apporter ce modeste témoignage à l'égard de deux personnes qui nous sont très chères, Paulette Galand-Pernet et Lionel Galand.

 

Je commence par dire que c'est un moment historique. Car, quels que soient les détails des différences d'appréciation, en fonction des points de vue, il est certain qu'une dynamique nouvelle traverse depuis presque une décennie la société marocaine à plusieurs niveaux. A certains de ces niveaux, on se réfère à cette nouvelle dynamique en parlant de réconciliation. le terme vient d'être prononcé par M. El Moujahid. Sur d'autres plans, on parle d'ouverture et de rééquilibrages socio-économiques et socioculturels.

 

En ce qui concerne le plan socioculturel, dans le cadre duquel s'inscrit la présente heureuse rencontre, et plus précisément le secteur de la gestion et de l'aménagement de l'espace linguistique et littéraire au Maroc, l'occasion qui nous réunit ici aujourd'hui est fort significative.

 

Cette occasion est pertinente en tant que moment fort et marquant parmi toute cette série d'essais d'évaluation, qui accompagnent dernièrement ladite dynamique au Maroc. Elle est fort pertinente également d'après sa nature; car il s'agit d'un hommage rendu aux Galand, Paulette Galand-Pernet et Lionel Galand, de la part de leurs collègues marocains, de leurs disciples directes ou indirects, qui sont nombreux ici au Maroc, ainsi que de la part de leurs amis et connaissances au Maroc toujours.

Elle est également fort pertinente et significative d'après le cadre institutionnel dudit hommage, puisque c'est l'Institut Royal de la Culture Amazighe qui l'a initié et qui l'encadre à l'initiative des chercheurs et chercheuses de son Centre d'Aménagement Linguistique.

 

L'occasion est, enfin, pertinente et significative d'après le lieu même qui en abrite aujourd'hui la cérémonie, puisqu'il s'agit de la prestigieuse Faculté des Lettres et des Sciences Humaine, héritière de l'ancien Institut des Hautes Etudes Marocaines, où Lionel Galand et Paulette Galand-Pernet ont démarré pour de bon, il y a plus d'un demi siècle, leur odyssée de recherche en langue et littérature berbères, un aventure sanctionnée par une œuvre colossale, en production, en encadrement et en animation de séminaires et de conférences.

Grâce à l'approche objective et pragmatique de cette œuvre exhaustive et diversifiée de cet heureux couple en matière de langue et littérature amazighes, une œuvre comparable - mutatis mutandis vu précisément les progrès accomplis - à celle de la classe de certains Basset et autres de même calibre, cette langue et cette littérature sont, aujourd'hui en passe d'acquérir leurs lettres de noblesse et leur dimension universelle, basées précisément sur la diversité de leurs aspects et sur leurs propres spécificités au sein du club des cultures méditerranéennes.

C'est loin des anciennes approches ethnographiques mues plutôt, qu'elles étaient, par du goût pour l'exotique de société, aux dépens de la linguistique en soi et de la littérarité en soi. On a qu'à lire "Littératures berbères: des voix et des lettres" de Paulette Galand-Pernet (1998) pour s'apercevoir de ce changement radical de l'approche expressément formulée.

 

Je ne peux pas me mettre à la place de l'un et/ou de l'autre des Galand, en essayant d'imaginer, par exemple, quelles auraient été, tout au début, les perspectives dans lesquelles l'un et/ou l'autre envisageait l'avenir du paysage qui constituait et constitue toujours plus d'un demi siècle après, l'espace de leur odyssée; c'est à dire l'espace de tout ce qui se rapporte à cette langue et à cette littérature. Ils sont les mieux placés maintenant pour prendre le recul nécessaire et porter un jugement comparatif sur la situation et les aboutissements. Mais, parmi les choses certaines à l'actif de cette odyssée et de l'esprit qui l'animait et qui l'anime toujours, il y a le fait suivant: au moment où les Galand commençaient à déferler les voiles de leur Calypso, pour ainsi dire, au large du pays maure, il n'y avait pratiquement à bord, comme Marocains impliqués, que quelques informateurs. Aujourd'hui, ce sont deux générations de chercheurs marocains confirmés en langue et/ou en littérature berbères, femmes et hommes,  qui viennent ici leur rendre hommage en reconnaissance d'une œuvre qui progresse toujours et de laquelle chacun d'eux et chacune d'elles se sent tributaire à un degré ou à un autre. Tous ces gens sont là aujourd'hui pour dire à l'unisson:

 

«AUX GRANDS HOMMES ET FEMMES, LE MAROC RECONNAISSANT».

 

En ce qui me concerne personnellement, et pour ce qui est de ma propre formation en langue et littérature berbères, que je n'ai entamée qu'après avoir intégré l'université en tant qu'assistant de formation arabisée, je me sens personnellement moi-même, en quelque sorte, d'une façon informelle - il est vrai - mais pourtant réelle, un disciple de la science des Galand dans le domaine du berbère, surtout son volet linguistique.

 

C'est de Lionel Galand que j'ai reçu la lettre du 03 octobre 1981, puis celle du 17 mars 1982, qui me permirent de briser le cercle pédagogico-administratif vicieux où je me suis trouvé coincé en tant qu'arabisant de formation qui s'était lancé dans l'aventure, combien audacieuse à cette époque, de préparer un doctorat de troisième cycle en linguistique berbère à Paris lorsque toutes les portes ont été fermées devant lui au Maroc.

 

C'étaient Lionel Galand et sa femme, Paulette Galand Pernet, qui m'ont accueilli par la suite, la première fois (avril 1982) que je mettais les pieds à Paris lors de mes pérégrinations visant à préciser mon projet de thèse de troisième cycle. Venait ensuite toute une série d'orientations et de recommandations de la part de M. Galand auprès de personnes et d'institutions. Tout cela fut dans un esprit purement noble, libéral et désintéressé, car M. Galand n'a pas été en fin de compte mon directeur de thèse; il m'a tout simplement orienté en fonction des impressions de profil que je présentais pour lui, et c'était François Dell qui a finalement encadré mes travaux de thèse et je tiens à le saluer ici à l'occasion. Le tout fut couronné par l'acceptation de M. Galand de me faire l'honneur de siéger au Jury de ma thèse sur la syllabation en 1985, quoique celle-ci fût écrite dans un cadre théorique qui n'était pas sien.

 

Et depuis, mes échanges avec les Galand n'ont jamais perdu de leur régularité – j'en garde jalousement un riche dossier de correspondances manuscrites, frappées à machine, tirées sur imprimante à aiguilles puis sur imprimante Laser. Au contraire, ces échanges se ont même développé et ont consolidé, en plus, une autre dimension, la dimension du purement affectif  et du purement humain, par delà les intérêts des détails scientifiques et les rapports professionnels.

 

C'est pourquoi, je me sens aujourd'hui pleinement satisfait de voir que la pression au quotidien de mon institution d'affiliation, l'Institut Royal de la Culture Amazighe, n'a enfin pas du tout réussi à détourner cette institution de la vertu de renouer avec le sens des valeurs des choses, et ce en nous permettant aujourd'hui, et quelle que soit la modestie de la forme, de témoigner ici, en communion à travers cet hommage, de toute l'estime et de toute l'affection que nous avons pour les Galand.

 

Puisse cette heureuse rencontre être, enfin, l'occasion pour nous tous, d'engager un moment de réflexion avec recul, en invoquant l'esprit de l'odyssée des Galand, afin de revaloriser la recherche fondamentale sur la langue et la littérature amazighes et faire tout ce qui est nécessaire pour que cet esprit continue de façon à assurer la relève. L'appel qui vient d'être lancé tout à l'heur à l’adresse de l'IRCAM par le doyen de la Faculté, M. Berriane, va droit dans ce sens. Ce sera là, j'espère, le comble de tout hommage aux Galand.

 

 

II

Présentation de

Regards sur le berbère

(Un des derniers ouvrage de Lionel Galand 2010)

 

 

Après son dernier livre (Etudes de linguistique berbère. Peeters, 2002), le doyen des études linguistiques berbères de notre temps, Lionel Galand, vient d’enrichir la bibliothèque linguistique et berbère d’un nouvel ouvrage de référence, Regards sur le berbère (Centro Studi Semetici, Milano, 2010).

 

«Ce livre n’est pas un manuel, encore moins une somme, avertit l’auteur. Comme l’indique son titre, il invite à jeter sur l’ensemble linguistique berbère une succession de regards qui, tout en faisant le tour du panorama, ne se porteront pas partout avec la même instance. Ils s’attardent sur les aspects du paysage les plus chers à l’auteur, sur les parlers les mieux documentés et sur les problèmes qui ont le plus compté pour lui».

 

En fait, il s’agit bien d’une somme, sur le plan de la linguistique, car ce qui a compté et qui compte pour cet auteur, et ce qui lui est cher, est en réalité tout ce qui touche au berbère sur ce plan (phonologie, morphologie, syntaxe, paramètre de variation dialectale). C’est ce dont témoignent l’énorme production et l’enseignement de l’auteur pendant plus de soixante ans. Or, «on ne pratique pas la recherche et l’enseignement pendant plus de soixante ans, précise-t-il, sans avoir à traiter d’un grand nombre de problèmes. Cela m’a conduit à écrire une longue série d’article, dispersés dans quantité de publications, souvent difficiles d’accès ou introuvables. J’ai donc constaté, voici longtemps, que j’avais fait fausse route en ne prenant pas le temps de composer un livre. Aussi ai-je accueilli avec joie la proposition de Vermondo Brugnatelli lorsqu’il m’a suggéré de rédiger un ouvrage pour la collection Studi Camito-Semitici».

 

Quoiqu'il arrive à Lionel Galand, dans ses écrits linguistiques, de faire usage de la terminologie et de certains concepts de la linguistique fonctionnelle, jamais cette outillage théorique ne le force à éluder aucun aspect des données ni à en compliquer la présentation là où le cadre théorique s’avère incompatible ou qu’il ne dispose pas d’outillage conceptuel et terminologique pour rendre compte des faits. En fait, lorsqu’on lui demandé il y quelques années de faire le point d’évaluation sur l’influence de la linguistique fonctionnelle d’André Martinet sur les études linguistiques berbères, Lionel Galand dit notamment ceci dans un appel à contribution qu’il généralisé : «C’est cette influence que l’on m’a demandé d’évaluer aujourd’hui, et j’ai sans doute eu tort d’accepter parce que je ne suis pas, parmi les berbérisants, celui qui a suivi le plus strictement les préceptes de cette linguistique». Voilà donc d’où découle l’accessibilité de ses écrits au lecteur, quel que soit le propre cadre ou les antécédents théoriques de formation en linguistique de celui-ci; quitte à ce que ce dernier traduise et interprète éventuellement en fin de compte s’il le désire les descriptions présentées dans son propre langage à lui et à travers sa propre grille théorique de formation ou de simple obédience.

 

«Lionel Galand, correspondant de l’Institut de France et membre étranger de l’Académie Royale des Pays-Bas, a été professeur de berbère à l’Institut des Hautes Etudes Marocaine de Rabat, puis à l’Ecole Nationale de Langues Orientales Vivantes (Ajourd’hui INALCO, Paris) et directeur d’études de libyque et berbère à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Sciences historiques et philosophiques). Ces études de linguistique berbère s’étalent sur plusieurs décennies et touchent tous les aspects de cette discipline», lit-on sur la quatrième de couverture de ce nouvel ouvrage de 386 pages (16,5c x 23c).

 

Après cet ouvrage, on ne peut qu’émettre le vœux de le voir complété par un autre que Paulette Galand-Pernet semble être en train de rédiger ces derniers temps et qui fera voir le jour, nous l’espérons, à tout un corpus de valeur qu’elle avait recueilli dans les années cinquante du siècle dernier auprès des femmes du Haut Atlas; ainsi continuera ce qui j’ai appelé un jour l’"Odyssée berbère des GALAND".

 

Présentation (08/06/2010):

Mohamed Elmedlaoui

 

 

 

 

III

 

Condoléances suite au décès de Paulette Galand

 

 

 

Rabat, 09 05 2011

 

Cher ami, Lionel Galand

 

C’est avec grande affliction que j’ai appris le départ de notre chère à tous et à toutes, Paulette Galand-Pernet votre épouse. C’était le matin du samedi 7 avril 2011 au début de la dernière session d’un colloque à Chaouen (Langue et identité culturelle des Jbala-Ghmara). A l’annonce de la triste nouvelle par Dominique Caubet, qui dispose d’un iPhone, j’ai pris la parole pour dire un mot de notre chère Paulette. Malheureusement je n’ai pas d’accès à Internet ces jours-ci hors du bureau.

 

Notre chère Paulette restera toujours avec nous à travers son épopée scientifique qui a duré plus d’un demi-siècle et qu’elle a menée avec vous dans la rigueur de la déontologie et la chaleur de l’humanisme. A travers vous, je présente mes condoléances à toute la famille ainsi qu’à toute la communauté scientifique qui nous rattache à Paulette à travers sa science et sa générosité. Je n’oublierai jamais le fait que vous étiez deux à m’accueillir en 1982 et à m’orienter dans le monde académique de Paris où j’avais atterri pour la première fois, et ce dans un café de la rue Soufflot à Paris. Et par la suite, c’est toute une amitié enrichissante qui nous a liés. Que l’âme de Paulette repose dans la paix éternelle, ensevelie dans les robes de la miséricorde.

 

Mohamed Elmedlaoui

 

 

 

 

 

 

 



19/12/2007
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