OrBinah

Jusqu'où les mélodies de l'Atlas peuvent-elles voyager dans le temps et l'espace (à propos de la Nuit du Dialogue: 22mai2008)

 (Dans le cadre de la Nuit du Dialogue: IURS-Rabat 22 mai 2008 à 09h)

Jusqu'où les mélodies de l'Atlas peuvent-elles voyager dans le temps et l'espace?

 

Quoi écouter et voir quoi?

 

Parmi les séquences à voir et à écouter, celle qui commence un enregistrement audio-visuel par une scène de feu de joie où quelques 'ahwashiers' d'un 'type particulier' s'activent, à la lueur du soir, avec tout le sérieux qu'impose la cérémonie festive, à chauffer leurs tambourins, qu'ils appellent 'tagnza', avec une gestuelle ancestrale, en préparation d'une longue veillée de chant dansant villageoi dit ahwash en berbère, et voulu du Haut Atlas de la région de Tidili (Igloua, au sud de Marrakech) alors que l'aboiement de chiots se fait entendre pas très loin. Le document sonore s'achève par un magnifique tableau montrant la pleine lune au zénith, ce qui signifie, pour tout amateur des mouvements des astres, une heure très avancée de la nuit.

 

Du début à la fin, à travers une spontanéité et une improvisation collectives de chant et de danse par les membres de la communauté villageoise, sans maestro ni mise en scène, le spectateur se trouve du coup 'emballé' pour partager avec les protagonistes, hommes et femmes, l'énième expérience d'une micro communauté qui s'accroche mordicus en toute occasion, aux tessons d'un souvenir dérobé et volé en éclats à partir du moment où le temps semble s'être arrêté et où l'histoire semble avoir fait demi tour pour des raisons qui forcent l'entendement: le moment où les vicissitudes de la vie et d'une l'histoire à variables multiples ont supplanté et balayé, du jour au lendemain, cette micro communauté de "Berbères juifs" ou de "Juifs berbères" (?) des hauteurs de Tidili dans le Haut Atlas pour lui réserver un autre sous ciel à elle dans la localité d'Aderet aux environs d'Alquds / Jérusalem (Bayt Lmaqdis, selon l'appellation de la version berbère de la Haggadah de Pesah).

 

Un riche corpus de paroles poétiques berbères des années quarante et cinquante du 20e siècle ainsi qu'un répertoire original d'airs musicaux berbères pentatoniques aux rythmes quinaires de la même époque, dont beaucoup sont perdus au Maroc d'aujourd'hui, se trouvent ainsi repêchés grâce à un effort collectif de mémoire à travers la fête et la convivialité, qui est devenu cérémoniel pour ce petit groupe.

 

Chaque fois que la fatigue gagne un peu de la vigueur physique des 'ahwashiers' et 'ahwashières', qui chantent et dansent ensemble, des moments de communion dans le chant, s'improvisent aussitôt, durant lesquels les membres de la communauté villageoise s'assoient pour reprendre du souffle, et s'attroupent autour de magnifiques grands dépositaires de la tradition de l'amarg (i.e. "mélomanie" en berbère chleuh) tels que la magnifique Immi Itto et le grand rays Shalom Swissa avec son tétracorde, en face du rays Barukh ben David avec son Rebab, et se livrent, dans une nostalgie déchirante à un effort collectif de remémoration d'airs et de paroles ainsi que des règles de l'art. 

 

En laissant aux historiens spécialistes de l'époque et de l'épisode le soin d'élucider les circonstances de ce déracinement d'une communauté millénaire, qui a plongé cette communauté dans sa nouvelle condition humaine, et en cédant aux politiciens le droit professionnel de faire des jugements de valeurs et de déterminer les responsabilités historiques, et dans le cadre purement intellectuel de la célébration de la Nuit du Dialogue,  partageons donc, au cours de la présentation commentée de ces documents audio-visuels, ces moments de dialogue avec le souvenir, et ces instants de réflexion sur notre condition à toutes et à tous. Car, pour dialoguer, on s'écoute d'abord.

 

En prenant la parole pour rassurer le groupe d'habitants de la localité de Shokeda, anciens des Ait Bougmmaz, en leur expliquant la finalité de l'enregistrement de leur fête d'ahwash, l'ancien 'roudani', Joseph Chérit insista sur la primauté du 'tarbot' ("culture") en tant que support d'existence, et sur le fait que les gens doivent comprendre qu'en tant que tel, les cultures se valent, et que si la mondialisation a fait par exemple que nous, Marocains, sommes  emmenés, comme tant d'autres, à apprendre des choses de la culture des Américains, les Américains se doivent de se résoudre à appendre de la culture des Marocains, car, sur cette échelle, Américains et Marocains se valent: ''bhal lmarikan, bhal lmarokan", dit-il en arabe marocain, et des youyous de respectables sexagénaires-et-plus, au costume et à la coiffure traditionnelle marocaine éclatent en réponse à la boutade rimée. En fait, comme le souligne encore David Bensoussan, «la culture est ce qui reste lorsqu'on a tout oublié, i.e. «ce qui reste et que l'on ne veut ni ne peut oublier», explique-t-il. "Un compositeur imprégnera ses mélodies des langueurs d'une ambiance musicale dans laquelle il n'a que très peu évolué". "Un poète s'attachera à une métrique atavique". "Ce constat s'applique à de nombreuses populations déracinées dans le village global qu'est devenu la Terre. Elle s'applique encore plus lorsque la culture transposée par ces populations est ancrée dans des valeurs qui ont survécu aux soubresauts de la modernité, tout comme dans le cas de la culture juive marocaine. Cette culture véhicule un riche héritage séculaire judéo-berbère, judéo-arabe et judéo-ibérique qui continue à évoluer dans sa tradition d'origine bien que baignant dans des contextes culturels forts différents", conclut David Bensoussan (à paraître dans Brit).

 

Les documents

 

Les documents dont il s'agit de présenter et de commenter certaines séquences consistent en plusieurs heures d'enregistrement audio-visuel produits par la doctorante Sigal Azaryahu  dans le cadre de la préparation du mémoire de son master déjà obtenu en ethnomusicologie à l'université de Tel-Aviv sous le titre "תהליכי שימור ושינוי במוסיקה של יהודי האטלס בישראל – טקס האחוואש" et de son PhD en cours de préparation à l'Université Catholique de louvain sous le titre "The Ahwash Singing Ceremony Shift from Morocco to Israel: Forms, Symbols, and Meaning" (v. 'Azaryahu' dans la page http://www.jleman.be/cv/currentphd/currentphd.html).

 

La Nuit du Dialogue

 

Partenaire de la Fondation Anna Lindh, l'Institut Universitaire de la Recherche Scientifique (Rabat, Maroc) compte célébrer la Nuit du Dialogue

(v.  http://www.1001actions.org/fr/nuitdudialogue) qui s'inscrit dans le cadre du programme 1001-Actions, lancé, pour 2008, par la Fondation Anna Lindh et auquel l'IURS est associé à travers l'action "La carnaval Imaâshar de Tiznit (Tiznit, Maroc)" labellisée par ladite Fondation (v.  http://www.1001actions.org/en/user/1341).

 

Dans le cadre de cette célébration, et après une conférence qui sera donnée par Farid Zahi le jeudi 22 mai 2008 à 09h à l'IURS (Avenue Allal El-Fassi, Rabat-Instituts), suivie d'un débat, une présentation commentée, de certains extraits desdits documents audio-visuels, sera faite, le même jour après la conférence, par Mohamed Elmedlaoui, chercheur à l'IURS, en sa qualité de co-directeur de thèse de la doctorante productrice des documents, Sigal Azaryahu,  et de responsable de ladite action de l'IURS labellisée la Fondation Anna Lindh.

Mohamed Elmedlaoui



16/05/2008
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 345 autres membres