Entretien avec M. Elmedlaoui, lauréat du Prix du Maroc pour le Livre
Entretien avec Mohamed Elmedlaoui, lauréat
du Prix du Livre
«Mon
ouvrage constitue un travail de 20 ans sur le champ des langues et des cultures
marocaines»
Propos recueillis par Ouafaa Bennani
Après
avoir remporté le Prix de la Meilleure Publication de l’Université
Mohammed V Souissi il y a quelques mois pour un article de linguistique
comparée, vous voilà lauréat du Prix du Maroc pour le Livre dans
la catégorie "Etudes littéraires, linguistiques et artistiques". Qu’est
ce que signifie tout cela pour vous ?
M. Elmedlaoui :
Au stade avancé où j’en suis dans ma
carrière professionnelle, cela signifie pour moi plusieurs choses: D’abord, il
me réconforte non pas seulement dans la voie que je me suis frayée contre vents
et marées dans ma carrière, mais également dans mon allure ferme dans cette
voie. Je veux dire que cela me confirme dans la confiance que j’ai pu garder malgré
tout dans l’évolution des choses dans le bon sens autour de moi; car la
reconnaissance de l’effort de l’individu dans son propre pays est certes une
chose importante pour lui sur le plan purement affectif et subjectif; mais elle
est aussi et surtout significative sur le plan objectif de l’éthique de
citoyenneté comme indice des vertus méritocratiques de la société qui est
sienne.
Le
Matin :
Voulez
vous rappeler au lecteur la teneur de cet ouvrage qui vous a valu le Prix du
Maroc pour le Livre?
M. Elmedlaoui :
Je vous remercie tout d’abord d’avoir
été la première à parler de cet ouvrage sur les colonnes du Matin, dès sa sortie
en juin dernier. Il s’agit d’un gros volume en arabe (550 pages) intitulé: "raf’u
l-hijaab ‘an maghmuuri ttaqaafati wa l-‘aadaab"
(dévoilement d’une culture et littérature occultées). J’y ai mis à contribution
mes connaissances en tant que linguiste, ainsi que ma maîtrise des différentes
langues et variantes de langues pratiquées au Maroc, pour dévoiler de larges
pans d’une littérature à manifestations plurielles. Une littérature qui, tout
en étant à la base d’une seule culture qui fait la spécificité identitaire
irréfragable du Maroc, reste pourtant jusqu’ici occultée en marge de la
conscience réfléchie collective et de l’intérêt académique. Il s’agit notamment
du fond littéraire amazighe, profane ou religieux (dit "almazghi"),
de la tradition judéo-arabe marocaine dite sharh (commentaire) et
du fond poétique du malhuun. L’examen des deux genres, "almazghi"
et "sharh" a révélé l’existence, dans le passé
au Maroc, d’un système d’enseignement à deux vitesses, qui garantissait à tout
le monde la connaissance pertinente indispensable à l’intégration dans la
société de l’époque: (a) un enseignement progressif pour les écoliers régulier,
dispensé dans les langues classiques (arabe classique ou hébreu selon la
communauté) et un enseignement parallèle ouvert pour les adultes non scolarisés
et dispensé dans les langues maternelles (amazighe, arabe marocain, judéo-arabe
marocain ou judéo-berbère, selon le milieu linguistique). L’examen de la
tradition du malhun dans cette ouvrage a pris la forme d’une mise au
point d’un système formel qui rend compte de la métrique de cette poésie, en comparaison
notamment avec la métrique de la poésie amazighe, et ce avec tout l’outillage
conceptuel et terminologique qui permet d’enseigner toutes les deux comme on
enseigne les métriques des langues classiques dans les milieux académiques.
Le
Matin :
Partons
justement de votre intérêt pour le malhun: vous êtes membre du bureau du
Conseil National de la Musique que préside Hassan Mégri et directeur
scientifique des rencontres "Musiques Amazighes et Musiques du Monde"
qui se tiennent en off du Festival Timitar, et vous avez remporté il y deux ans
le Grand Prix du Matrouz que vous a décerné la Fondation Essaouira-Mogador à
côté d’illustres artistes et chercheurs en la matière (J. Chétrit, Md. Briouel,
Abderrahim Souiri, F. Atlan, Haïm Look, Maurice Elmediouni, R. El-Bidaouia); dites
nous donc un peu, selon quelle logique cohérente et par quel cheminement, un
linguiste en arrive-il à embrasser tout cela?
M. Elmedlaoui :
De formation arabisé de l’enseignement
originel, et après avoir eu une licence en littérature arabe (l’une des deux seules options universitaires possibles pour
ce type d’enseignement), j’ai dû réorienter ma formation postuniversitaire vers
la linguistique formelle pour répondre ainsi à ma vocation scientifique et
mathématique profonde de départ dans ma formation au secondaire. C’tait une
formation qui n’avait pas alors de débouché universitaire puisqu’elle était
entièrement arabisée et dépourvue de modules sérieux de langues étrangère. Et
depuis, l’apprentissage autodidactes de certaines langues étrangères (français
et anglais notamment) ainsi que différents degrés de maîtrise des langues
pratiquées au Maroc (arabe classique, arabe marocain, amazighe, hébreux) m’ont
permis de mener beaucoup de travaux linguistiques de phonologie sur ces
dernières. La métrique étant une branche de la phonologie, j’ai donc dû travailler
progressivement sur un large éventail de textes oraux et écrits de ces
différentes langues. Mon intérêt au début portait uniquement sur les aspects
formels et techniques (phonologie segmentale, syllabation, prosodie) de la
matière lue ou écoutée. Mais à force d’écouter et réécouter et de lire et
relire, les aspects esthétiques et de teneur socioculturelle de ces textes n’ont
pas tardé à gagner de mon intérêt: la métrique m’a notamment obligé à m’initier
au solfège afin de comprendre les principes qui gouvernent les rapports entre
la structure rythmique de l’air musical et la structure métrique des paroles
dans les principales traditions musicales pratiquées au Maroc. Ainsi, dans
toutes les expériences d’exploration et d’investigation, se présente parfois le
cas d’un Christophe Colomb: en cherchant le chemin des Indes, celui-ci en
arriva à découvrir l’Amérique dont il ne soupçonnait même pas auparavant
l’existence.
Le
Matin :
D’après
l’idée qu’on se fait de votre ouvrage, celui-ci semble faire parfaitement écho
aux nouvelles dispositions de la Constitution marocaine en matière d’une
restructuration plus adéquate du champ des langues et culture marocaines; est ce
bien le cas ?
M. Elmedlaoui :
En principe, il ne doit y avoir aucun
apriori absolu contre les contributions de circonstance, du moment où la nature
du sujet et son envergure permettent de concevoir l’œuvre, d’en recueillir les
données empiriques, d’en faire l’analyse et de rédiger son texte dans la
rigueur des règles de l’art. Or, l’envergure de cet ouvrage, la nature de son
objet d’étude, le volume des données empiriques présentées ainsi que leur type
d’analyse et les standards académiques de rédaction (renvois, notes,
bibliographie), font que ça ne peut nullement être un travail de circonstance que l’on peut
réaliser entre juillet 2011 date de l’adoption de la Constitution et février
2012 où l’ouvrage était déjà à
l’imprimerie. Il s’agit donc naturellement d’une synthèse d’une vingtaine
d’années de travaux qui ont donné lieux à plusieurs autres ouvrages auparavant.
De mon côté, j’expliquerais autrement ce rapport relevable de correspondance
avec lesdites nouvelles dispositions de la Constitution. Je dirais, dans ce
sens, que c’est là tout simplement un indice particulier que qui indique que cette
constitution reflète et traduit, sur ce point, la moyenne générale de l’esprit
collectif de la société marocaine, tant
sur le plan intellectuel et académique que sur le plan revendicatif citoyen. Et
pour répondre autrement à votre question, je pense personnellement que c’est
plutôt la dimension de pertinence du contenu de cet ouvrage pour l’intérêt
collectif des circonstances, qui a fait qu’il ait eu un écho à l’intérieur du
pays, chose que n’y ont pas eu d’autres ouvrages précédents du même auteur, pourtant
plus intéressants sur le plan purement académique.
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