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En guise de réponse à la lettre du camarade M. Abdelaziz, chef du Polisario

En guise de réponse à la lettre du camarade Mohamed Abdelaziz, chef du Polisario  [i]

 

                                                                          Mohamed Elmedlaoui [ii]

                                                                          (12  juin  2005)

                                                                          Mise à jour du 13 mars  2007

 

 

Une lettre d'un camarade qui se veut  historique

Au mois de juin 2005, certains organes de presse au Maroc ont fait l'écho d'une lettre ouverte que le leader exécutif du Polisario, Mohamed Abedelaziz, venait d'adresser, le 02 juin 2005, à l'élite intellectuelle marocaine sur les colonnes du quotidien algérien, Al-Akhbar. Dans cette lettre, le leader sahraoui fait remarquer notamment à cette élite, à propos du conflit du Sahara, que «Au cours des dernières années, et au regard de l'immense responsabilité qui exige plus que jamais de redoubler d'efforts pour garantir à nos peuples un avenir commun, les élites, les partis politiques et les intellectuels marocains avaient, pendant les dix premières années du conflit, appuyé fermement, parfois avec zèle, les thèses du Gouvernement marocain. Si les conditions régionales et mondiales étaient favorables à une telle inflexion, il n'en est plus de même aujourd'hui, et donc il n'y a plus de raison à ce que les intellectuels démocrates, les élites, les partis politiques et les instances de la société civile cautionnent la politique du Gouvernement marocain tendant à confisquer le droit démocratique sur les frontières sud du Maroc» (Aujourd'hui le Maroc. N° 914; 03 juin 2005).

 

Des destinataires d'élite

Décidément les camarades sahraouis sont plus élitistes que leur discours officiel ne le laisse soupçonner. Alors que le très populaire de gauche, feu Elouali Mostafa Sayid a choisi il y a trente ans de s'adresser directement à feu Hassan II via une lettre ouverte pour résoudre le problème du Sahara au lieu de s'adresser aux 'forces populaires' du Maroc,  M. Abdelaziz invoque et/ou interpelle pêle-mêle en un chapelet nominatif dans sa lettre – plaidoyer tout un spectre disparate de personnages 'distingués', vivants ou morts, que ponctuent Mohamed V, Reda Benchemsi (journaliste), Abdelkrim Khattabi (universitaire), Abderrahim Jamai (avocat), Mehdi Benbarka, Nadia Yassine (activiste islamiste), Mohamed Al-Jabiri (philosophe), Ali Lemrabet (journaliste), etc. (18 spécimens au total de l'élite marocaine, toutes générations et couleurs confondues).

 

Une langue de bois bien intériorisée.

La presse marocaine, en tout cas celle que j'ai pu consulter, avait présenté cette lettre sous le signe exorcisant de la réserve, pour ne pas dire du rejet par un réflexe conditionné viscéral tendant à exorciser toute accusation classique. On a ainsi pu lire: "Lettre ouverte sous forme d'appel à la trahison, … un  vrai appel de cœur à ceux qu'il [i.e. Abelaziz] considère comme des alliés objectifs potentiels" (Aujourd'hui le Maroc. Idem.), ou encore "Lettre ouverte; le délire de Mohamed Abdelaziz" (Le journal Hebdomadaire. N° 211; 04 juin 2005).

 

Les origines d'un conflit

Pourtant, je n'entendis pas du tout personnellement cette lettre de cette oreille. J'avait déjà publié un article en arabe (Assabah, nov. 2004; Alahdath Almaghribiya,, 17 nov. 2004) qui revient sur une tranche de l'historique de la question du Sahara, dont l'aspect problématique des trente dernières années avait commencé comme l' un des aspects centraux de l'action du mouvement contestataire au Maroc du début des années 70s du siècles dernier, avant que les vicissitudes des alliances possibles de l'époque, régies qu'elles étaient par la logique du bipolarisme Est-Ouest, ne fassent basculer les tenants de la thèse du 'foyer révolutionnaire', diplomatiquement traduit à l'époque en  slogan d''autodétermination', dans le giron de la Libye, puis dans celui de l'Algérie (voir ledit texte sur le site (v. http://www.ahewar.org/debat/show.art.asp?aid=106362).

 

Lorsque la donne change l'optique se doit de suivre

J'étais donc plutôt enclin, et je le suis toujours - peut être par abus d'optimisme - à déceler dans la lettre de l'ex-'camarade' politique, l'actuel leader et acteur militaire, le bout d'une perche tendue pour entamer enfin le dialogue entre Marocains, toutes sensibilités régionales et/ou idéologiques, fortes ou moins fortes, confondues. Un dialogue sur la façon de donner à l'expérience de l'Alternance d'une part, et de la Réconciliation d'autre part, un sens plus substantiel, plus large, plus profond et plus en phase avec notre époque, que celui qui n'assume pas sérieusement et ouvertement le dossier du Sahara dans le cadre de l'action Equité et Réconciliation et qui réduit la notion d'alternance à la seule dimension de la bipolarité marocaine classique entre un Makhzen à base autoritaire archaïque omniprésente et un opposition politique professionnelle à base d'une élite traditionnelle du triangle utile du Centre. Cette nouvelle acception de l'alternance et de la réconciliation doit s'inscrire dans le cadre d'une véritable initiative nationale d'équilibres régionaux et de réconciliation entre spécificités  régionales  au profit du développement et de la réhabilitation de l'élément humain, là où cet élément se trouve géographiquement. Tout cela sur la base des égalités des chances et de la compensation des préjudices, sur la base des mérites et de la compétition aux échelles individuelle, institutionnelle et régionales, et non par sur la base des moyens archaïques d'abus et de corruption à tous les niveaux. Il peut donc bien y avoir aussi complémentarité et alternance, non pas seulement à l'échelle de la bipolarité politique classique, mais également sur les plans des générations et de la gouvernance territoriale. Une complémentarité et une alternance dans l'exercice du pouvoir et dans l'appropriation des biens matériels et symboliques dans une optique de décentralisation et de non concentration.  Si les marocains sont historiquement liés par  un contrat moral et formel à une monarchie constitutionnelle dans la perspective actuelle du processus d'une démocratisation en pleine édification, aucune fatalité ne leur impose l'hérédité collective de la concentration des pouvoirs économiques, politiques et symboliques, de la part d'une nomenklatura traditionnelle du triangle dit utile et de la classe classique, qui fait des liens de parenté (filiations et mariages) des titres de compétence professionnelle et des arguments politiques. Des compétences à tous les niveaux et dans tous les domaines et secteurs, civils et militaires, il y en a partout. Elles peuvent se manifester de partout une fois le climat favorable, non pas seulement  des provinces du Sahara précisément, mais aussi de toutes les autres entités et sensibilités régionales et socioculturelle pertinentes. La Constitution sera alors en mesure de s'inspirer d'expériences et de modèles, et d'avancer des idées novatrices dans ce sens. Les formations politiques sont donc, à leur tour, invitées à innover pour s'implanter fonctionnellement hors des fiefs traditionnels afin de pouvoir participer activement à la mobilisation politique qu'implique l'initiative nationale de développement humain dans son acception la plus large, et la société civile est appelée à continuer de jouer son rôle complémentaire.

 

Pour que toutes les parties s'en sorte gagnantes

Tout cela fera notamment, en fin de compte, l'affaire de toutes les parties impliquées dans le conflit du Sahara; ce conflit qui, dans son aspect régional, menace de se muer progressivement d'un vestige de la Guerre Froide - chose que la lettre de M. Abdelaziz a bien reconnue en invoquant notamment "les conditions régionales et mondiales [de l'époque]" - en un guêpier chaotique du Terrorisme International et de trafic de toute sorte dont aucune partie, le Polisario en tête, ne peut prétendre pouvoir s'en servir 'intelligemment' pour son propre compte. Abdelaziz a certainement entrevue cette nouvelle perspective apocalyptique où son mouvement ne pourra plus jouer l'impossible équilibrisme entre la tutelle de l'Algérie, que lui impose la géographie de ses bases et qui devient elle-même une véritable lourd legs de politique intérieur pour cette même Algérie, et le racket et chantage des différents mouvements terroristes qui commencent à investir le grand Sahara et dont plusieurs font une guerre d'usure depuis plus d'une décennie au pouvoir algérien de tutelle et commencent déjà à étendre cette guerre à la Mauritanie. Deux ans presque, après la lettre d'Abdelaziz, les cours des événements dans la région ont confirmé cette tendance du terrorisme international avec les dernières actions terroristes en Algérie et en Tunisie revendiquées par Al-Qaïda, ainsi qu'avec les infiltrations des agents de cette mouvance dans tous les sens à travers les frontières des zones sahariennes et surtout avec l'institutionnalisation solennelle de la fusion structurelle du terrorisme nord africain dans le grand chaudron d'Al-Qaïda sous le non d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique.

 

Je suis donc plutôt pour une attitude de la part des vivants parmi ces intellectuels marocains interpellés, qui consiste à saisir les interlignes, que je crois entrevoir dans la mettre de M. Abdelaziz, et à répondre ouvertement, à titre individuel, collectif et institutionnel à l'expéditeur, au lieu qu'ils prennent le message à la lettre en se laissant chatouiller la vanité et l'orgueil et en dormant sur les lauriers qu'on aurait cru que M. Abdelaziz leur aurait tout simplement et généreusement offerts en célébrant leurs «combats contre le colonialisme [qui] ont laissé des traces indélébiles dans la mémoire collective de leur peuple et des peuples voisins » et leur «grande disposition pour la consécration des droits de l'Homme et la démocratie». Qu'ils répondent donc en faisant des propositions constructives qui donnent un contenu concret à l'appel qui conclut la lettre de M. Abdelaziz lorsque celui-ci dit  notamment: «Associons-nous pour regarder ensemble l'avenir avec optimisme et espoir». C'est le rôle de ces intellectuels pour aider l'être bicéphale, Mohamed-Abdealziz-Bouteflika, à mieux comprendre les dernières initiatives du Maroc, politique et officiel, qui ont abouti au projet d'autonomie, comme seul voix qui empêcherait le pyromane de finir par incendier toute sa ville en voulant juste mettre le feu à la maison du voisin.



[i] Une première version de ce texte a été publiée parue dans l'hebdomadaire marocain La Vérité (31 mars 2006)

[ii]  Institut Universitaire de la Recherche Scientifique.



18/12/2007
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