(En Français) Sémantique d'une conférence de presse à Rabat
Sémantique de la conférence de presse du Président français à Rabat.
(14 juin 2017)
On a beaucoup parlé ces derniers jours de la sémiologie du fait que la première visite du nouveau président français ‘hors de …’ soit une visite au Maroc, présentée comme un privilège. Il y a pourtant quelque chose dans la conférence de presse du Président français E. Macron, hier à Rabat, qui m’a empêché de dormir cette nuit.
Je ne connais pas personnellement de cas où un chef d’Etat accède à la demande d’une pétition d’intellectuels, lancée, en plus, sous forme d’une simple lettre ouverte. Le Président Macron semble pourtant l’avoir fait sur le champ en répondant à une lettre ouverte portant sur les événements du Rif au Maroc à la veille de sa visite d’amitié et de travail à Rabat où il a rencontré le roi Mohamed VI. La lettre est signée par un ensemble d’intellectuels, dont l’écrivain marocain Abdellatif Laâbi, et porte sur les événements du Rif, qu’elle associe, au passage, à la situation des réfugiés syriens expulsés par l’Algérie vers le Maroc et qui se trouvent bloqués dans la région de Figuig. Ces évènements qui ont leur profondeur socio-économique et culturelle régionale (v. ICI) et qui ont épousé un format sociopolitique de la conjoncture (v. ICI; en Ar.).
La lettre rappelle au président français, à propos du Rif, que «La France, pays de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne peut rester spectatrice de ce déni de droit à l'expression pacifique» (voir ICI).
Certes, des prédicateurs meneurs de masses du calibre d’un Qardaoui, par exemple, ne se sont pas (encore) saisis du dossier du Rif en réponse aux signes envoyés dans le cadre du nouveau format sociopolitique multidimensionnel de conjoncture, qu’a épousé le mouvement protestataire (v. ICI; en Ar.). Mais la lettre ouverte des intellectuels francophones au président français coïncide paradoxalement dans le temps avec une vidéo de naSiHa ("conseil") du fameux islamologue engagé, Tarik Ramadan, où, sur le fond d’un poster en calligraphie arabe "Pour l’Amour de Dieu", celui-ci prend la défense du peuple marocain en interpellant, lui cette fois-ci, directement "le roi et le makhzen":
«Il faut que la voix du peuple, la voix de justice soit entendue pour l’avenir du Maroc, pour l’avenir du Maghreb et de l’Afrique … Les manifestations populaires pour plus de justice, de liberté et de transparence politique ne sont ni une "fitna", ni téléguidées de l'extérieur » (voir ICI).
Il semble pourtant fort bien, d’après beaucoup d’indices perlocutoires, que le Président Macron n’avait pas besoin de cette lettre ouverte, même si elle lui aurait servi de légitimation morale. Ainsi, dans la conférence de presse qui a suivi son premier entretien avec le Roi Mohamed VI (lien ci-dessus), le président a tout d’abord consenti consenti certains ‘encouragements’ de convenance diplomatiques sur "la volonté de la France d’accompagner les réformes ambitieuse qui sont aujourd’hui menées par le roi : la modernisation des institutions, …".
Par la suite, et tout en faisant usage de la figure stylistique de prétérition «Il ne m’appartient pas de tenir un jugement sur un sujet de politique intérieure», le président français répond à une question sur les événements du Rif, à laquelle il s’attendait bien. Il répondu qu’il l’a bien soulevée avec le souverain marocain, le Roi Mohamed VI, dès le début de l’entretien entre les deux chefs d’état «qui a duré plus que prévu»:
«Nous les avons évoquées dès le début de la visite"». Le président précise même qu’il a été direct sur ce point. La figure stylistique de prétérition a servi par la suite au Chef de l’Etat français, de tremplin pour rassurer une opinion multipartite en constatant que «Le souhait du roi est d’apaiser en répondant aux prémices de ces mouvements, en apportant une réponse concrète, une considération à cette région, et des réponses très concrètes en termes de politique publique».
Et le président de rajouter en rassurant que «La discussion que nous avons eue ne me donne pas lieu de craindre une volonté de répression quelle qu’elle soit, mais plutôt une réponse dans la durée et sur les causes profondes de ce qui est advenu». Ce qui ne ressemble ainsi en rien, paraît-il, à une injonction directe, mais qui traduit une attitude et constitue un signe aux autres partenaires de la France dans la région maghrébine sur la signification de ‘privilégier’ le Maroc exactement en ces circonstances comme pays à visiter.
Même la fameuse chaîne, France-24, a compris le message au ‘bon entendeur’ en tenant, lors de la transmission de la conférence de presse du Président, à afficher à maintes reprises une carte d’un Maroc amputé de sa partie sud par des lignes de frontières, comme si c’est pour monter au spectateurs francophones où se trouve le Maroc sur la carte du monde!
Voilà pourquoi j’ai eu l’impression, étant donné le lieu et le cadre diplomatique des propos du président français, de percevoir une tonalité qui ne s’ait fait jamais plus entendre d’un chef d’état français au sujet du Maroc depuis l’Indépendance de celui-ci, que ça soit à partir d’ailleurs ni, et encore moins, sur place au Maroc dans le cadre d’une visite officielle d’amitié et de travail.
Le Maroc, non plus, ne s’est jamais immiscé politiquement, ni frontalement, ni par figure de prétérition, dans les difficultés consécutives à l’’exclusion socio-économiques et socioculturelles qui secouent périodiquement la France. Et cela malgré le fait qu’une bonne partie de ces couches des banlieues touchées par cette exclusion sont issues de l’immigration marocaine consécutive à la colonisation et à la reconstruction économique de la France d’après-guerre après l’Indépendance. Cela, quel que soit le degré de la violence de part et d’autre de ce que l’on appelle en France par euphémisme "Violence Urbaine" en opposition à "Révolte" ailleurs et quel que soit le nombre d’interpelés et des mis en examen. Le Maroc n’a jamais exprimé le souhait «d’apaiser en répondant aux prémices de ces mouvements, en apportant une réponse concrète, une considération à ces zones, et des réponses très concrètes en termes de politique publique».
La tonalité des propos du Président français évoque donc, pour moi, celle des propos que tient une grande puissance au chevet d’un autre Etat qui lui est cher. Le paradoxe demeure, de plus, dans le fait que cette tonalité tranche avec celle qui a caractérisé les déclarations de M. Macron à Alger au mois de janviers 2017 lors de sa campagne électorale où il a avoué, à l’égard de l’Algérie, que la colonisation de ce pays par la France était «un crime contre l’humanité», un fait d’ailleurs que seul l’extrême droite française lui reproche d’voir avoué. Cela fut au moment où la répression s’abattait dans la même Algérie sur la ville de Ghardaïa où elle a fait plus de 20 morts et à donné lieu à des dizaines d’arrestations. Là silence radio.
Cette différence de tonalité se comprend en fait si l’on se rappelle des ripostes systématiquement violentes d’Alger à la moindre déclaration d’un responsable français quel que soit son rang, qui ne ménage pas le pouvoir algérien.
En tout cas, l’occasion est attendue pour en savoir plus du style direct pour rassurer l’opinion, lorsque le M. Macron se rendra cette fois-ci au chevet d’un autre état maghrébin, cette fois-ci, un vrai chevet.
Enfin
Enfin, pour être loyal, ce qui précède n’est pas la seule question sur laquelle le président français s’est prononcé. Entre autre points, il y a la concertation entre les deux pays sur le sujet de la coopération avec l’Afrique sur tous les plans, et sur le rôle de la culture en général et du volet de la francophonie comme leviers de cette coopération.
Il est vrai que la dimension francophone n’a pas été un choix délibéré dans l’histoire du Maroc; mais elle est devenue, il y a plus d’un siècle, une donnée essentielle de son histoire moderne; et notamment, un instrument par lequel les base de son administration ont été jetées, ses archives constituées, ainsi que le médium qui véhicule l’essentiel de la connaissance scientifique produite sur le Maroc moderne dans les domaines de l’histoire, de l’ethnographie, de la sociologie, etc.
Un instrument par le biais duquel des générations de l’élite et marocaine eut accès à la pensée et aux valeurs modernes dans les domaines de la politique, de la philosophie et de l’éthique (pas seulement Laâbi et catégorie, mais aussi Al-Jabiri, Laroui, Chafik, etc.), et qui demeure toujours un moyen de communication diplomatique efficace avec beaucoup de pays dans le monde. Cet instrument là, butin d’une longue histoire de sacrifices, le Maroc semble, en fait, ne pas être prêt à l’abandonner, quelles que soient les idéologies et le nouveau paysage du marché linguistique international.
Dans cette dernière perspective, il serait judicieux de rappeler un texte qui remonte à 12 ans d’aujourd’hui:
"Présence culturelle franco-marocaine dans le monde" (2005)
https://orbinah.blog4ever.com/francais-presnece-franco-marocaine-dans-le-monde
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Mohamed Elmedlaoui (Institut Universitaire de la Recherche Scientifique – Rabat)
https://orbinah.blog4ever.com/m-elmedlaoui-publications-academiques
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