OrBinah

(En français) De la traduction dans le système éducatif et de transfert de connaissances au Maroc

De la traduction dans le système éducatif et de transfert de connaissances

 

(Une version réduite et dépourvue de liens de renvoi, sur Quid.ma, ICI)

 

 

Il y a déjà 20 ans que la Charte National d’Education et de Formation a mis en avant  la nécessité de mettre au point un plan institutionnel de traduction de haut niveau, comme levier principal de "l’amélioration de la qualité de l’éducation et de la formation". Voici ce qu’en dit l’alinéa 112 de ladite charte:

 

[112. La préparation à l'ouverture de sections de recherche scientifique avancée et d'enseignement supérieur, en langue arabe, nécessite d'intégrer cet effort dans le cadre d'un projet prospectif, ambitieux, embrassant les dimensions culturelles et scientifiques modernes, portant sur les axes suivants:

- le développement soutenu du système linguistique arabe, aux plans génératif, grammatical et lexical;

- l'encouragement d'un mouvement de production et de traduction de haut niveau, afin d'assimiler les conquêtes scientifiques, technologiques et culturelles dans une langue arabe claire, tout en encourageant la composition, l'édition et l'exportation d'une production nationale de qualité;

- la formation d'une élite de spécialistes maîtrisant les différents champs de la connaissance en langue arabe et dans plusieurs autres langues, y compris la formation de cadres pédagogiques supérieurs et moyens.].

 

Il est superflu de souligner ici l’importance qu’accorde aujourd’hui toute nation dont la/les langue/s nationale/s sont émergente/s ou peu qualifiée/s, à l’effort national en matière de traduction. On a qu’à penser à l’Espagne et aux pays nordiques. Dans de tels cas, les plans de traduction font parti de la politique linguistique de long terme d’une nation. Ils visent à la fois un transfert, une démocratisation et une vulgarisation du savoir dans les domaines des sciences, des arts de la pensée et de la culture, ainsi que la mise à niveau et la qualification des langues cibles de ladite traduction. Les langues-source de la traduction sont choisies, dans leurs différents degrés d’importance selon les domaines, en fonction de la pertinence - pour la/les langue/s nationale/s cibles en question - de ce que ces langues-source véhiculent comme contenus, consignés par écrit, manuscrits ou publiés.

A cet égard, le Maroc a devant lui toute une palette de langues-source pour tout plan global institutionnel éventuel de traduction.

 

Traditionnellement tourné principalement vers la traduction à partir du français pour des raisons historiques (protectorat), via de simples initiatives individuelles éparses, le mouvement embryonnaire de traduction au Maroc s’est élargi ces dernières années à d’autres langues-source, l’anglais en tête à cause de sa prééminence  internationale et sa présence de plus en plus notoire au Maroc même, mais aussi certaines autres langues romanes (espagnol et portugais) pour des raisons culturelles et historiques également.

La plupart des ouvrages, choisis aléatoirement à la guise des initiatives individuelles, comme objets de traduction, relèvent des domaines de la littérature et des sciences humaines, l’histoire en premier lieu, et dans une moindre mesure l’ethnographie et l’anthropologie.

Même s’il n’y a pas de doute en l’importance de la formation et de l’encadrement «d'une élite de spécialistes maîtrisant les différents champs de la connaissance en langue arabe et dans plusieurs autres langues» pour assurer un transfert continu des connaissances en sciences cognitives, de la nature et de technique, tout ce qui porte notamment sur le Maroc dans lesdits domaines de littérature et des sciences humaines (histoire, sociologie, ethnographie et anthropologie) revêt une importance particulière comme objet de tout plan réfléchi de traduction, si l’on tient compte d’une phase d’évolution intellectuelle collective accélérée que connaît le Maroc dans un environnement mondial et régional où il a de plus en plus fortement besoin de se réapproprier pleinement toutes les ressources qui fond le socle historique de son entité/identité, exprimées dans ses propres langues accessibles au plus grand nombre ("les femmes et les enfants", selon l’expression anecdotique de Descartes dans son introduction au "Discours de la méthode" qu’il a décidé de rédiger dans une langue du peuple, émergente alors, le français, et non en latin qui fut la langue élitiste d’élite coupée de la société dans ses chapelles scolastiques).

 

A cet égard, l’un des affluents desdites sources et ressources, historique certes mais encore vivant, demeure pourtant dans la sphère du non-pensé dans la conscience collective, y compris sur le plan académique au Maroc. Il s’agit de ce que le préambule de la Constitution désigne comme "affluent hébraïque" de l’identité marocaine. En ce qui concerne les textes, publiés ou manuscrits, cet affluent correspond à un gigantesque fond en différentes langues du Maroc d’antan ou d’aujourd’hui (arabe classique, hébreu, judéo-arabe, judéo-berbère, etc.), qui porte directement sur le Maroc et la société marocaine, sous formes de créations littéraires (savantes ou populaires) tous genres confondus (poésie, narration, théâtre, etc.), d’hagiographie/histoire, de notes ethnographiques, de mystique, de linguistique, de littérature fantastique ou utopique ("L’utopie de Casablanca", par exemple en hébreu dans les années 40s du 20e s. ; cliquer ICI, texte en arabe), etc.

 

Encore de nos jours, ce que j’appelle depuis des années une "littérature marocaine d’expression hébraïque" continue de fleurir et de s’affirmer. Cet autre volet des sources et ressources pour l’action de traduction au Maroc, avec ce qu’il en résulterait comme qualification de la langue-cible comme véhicule de connaissances, a pourtant aussi fait l’objet d’initiatives individuelles de traduction de la part de trois générations de spécialistes en hébreu et en judéo arabe, les trois derniers ouvrages traduits de l’hébreu en arabe étant, à titre de spécimen:

 

=  מלך מרוקאי-1982   (pièce de théâtre) traduite: "مَلكٌ مغربي"-2021 (cliquer ICI).

=  המרוקאי האחרון-2013 (roman-fiction autobiographique) traduit : "المغربي الأخير"-2020 (cliquer ICI);

=  תינוק מאופראן-2000 (narratif romanesque inspiré d’une tradition orale) traduit: "صبيّ من إفران"-2014.

 

Heureusement que, dans les deux jours qui viennent (28-29 septembre 2021), le colloque qu’organise l’Académie du Royaume du Maroc sur le thème de la traduction offre à un panel de traducteurs et de chercheurs dans le domaine de la traduction une occasion pour débattre sérieusement dans un haut lieu de production et d’échange du savoir non pas seulement des questions théoriques traditionnelles dites "problèmes de traduction" mais également et surtout de certaines questions d’ordre pragmatique et institutionnel comme celles soulevées plus haut, en bref: le statut institutionnel de la fonction de traduction dans la politique linguistique et éducative publique ainsi que le statut juridique des traducteurs, qui demeurent pour le moment de simples volontaires dans leurs initiatives, quelles que soient leurs compétences et mérites professionnels.

----------------------------------------------

 

Mohamed Elmedlaoui

 

https://orbinah.blog4ever.com/m-elmedlaoui-publications-academiques



28/09/2021
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 343 autres membres