(En français) Concis de la phonologie des labiales et des labialisées en berbère
Concis de la phonologie des labiales et des labialisées en tachelhiyt
(Approche synchronique)
Tanscription : H/ح ; 3/ع; x/خ ; v/غ ; c/ش ; j/ج ; les emphatique en majuscule.
1- Introduction
La contrainte sur les labiales (b, f, m) et les labialisées (kw, gw, vw, etc.) est un aspect particulier de ce que la phonologie des années 80 et 90 appelle OCP (Obligatory Contour Principle).
C’est une contrainte paramétrique, i.e. observée ou non observée dans une langue donnée, et avec une force donnée, quand elle est observée, par rapport à la hiérarchie des contraintes.
Cette contrainte sur les consonnes labiales est par exemple en rigueur en Akkadien par exemple dans le cadre du domaine du mot. Dans cette langue, la RACINE ne peut pas compter plus d’une consonne de l’ensemble des labiales (b, f, m ; chose valable pour toute les langues chamito-sémitiques, sauf pour des cas restreints d’un /m/ final) et lorsque l’affixe de dérivation /m-/ s’affixe à une racine contenant une labiale (b, f ou m), ce préfixe /m-/, qui est une labiale nasale, se dissimile pour ce qui est du point d’articulation et se réalise phonétiquement sous forme de /n/, une nasal coronale et non labiale.
2- Dissimilation des labiales d’articulation primaire (b, f, m) en tachelhiyt
C’est en gros ce qui était en vigueur de façon généralisée en berbère. Mais c’est en tachelhiyt qu’il garde encore toute sa vigueur en synchronie, mais pas tout à fait pour ce qui est de la nouvelle génération de locuteurs, influencée par les autres langues environnantes.
Donc, en plus du fait qu’on ne trouve jamais en tachelhiyt de radical verbal ou nominal (i.e. la partie du mot autre que les éléments de dérivation et les éléments d’accord) plus d’une seule consonne labiale (b, f, m), si un RADICAL qui en contient une se trouve être la base de dérivation par préfixation de la labiale /m-/ avec ses différentes valeurs sémantiques (nom d’action, réciprocité, etc.), ce préfixe se dissimile en /n/ (pour éviter la cooccurrence de deux labiales dans le MOT). Ceci vaut même pour les radicaux empruntés aux autres langues. Ainsi, les exemples qui suivent :
Formation du réciproque
zri / m-zaray (/m-/: réciproque)
ZRa / m-ZaRa (/m-/: réciproque)
Hukka /m-Hukka (/m-/: réciproque)
JaHd / m-jaHad (/m-/: réciproque)
Hada / m-Hada (/m-/: réciproque)
xtl / m-xatal (/m-/: réciproque)
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lkm / n-yalkam ([n-]: réciproque)
nllm / n-sallam ([n-]: réciproque)
xaSm / n-xaSam ([n-]: réciproque)
Hasb / n-Hasab ([n-]: réciproque)
cbbr / n-cabbar ([n-]: réciproque)
Hbbl / n-Habbal ([n-]: réciproque)
Hccm / n-Haccam ([n-]: réciproque)
Formation du nom d’agent
krz / a-m-kraz (/m-/: nom d’agent)
ksa / a-m-ksa (/m-/: nom d’agent)
kkusa / a-m-kkasu (/m-/: nom d’agent)
Hsad / a-m-Hsad (/m-/: nom d’agent)
zwar / a-m-zwaru (/m-/: nom d’agent)
ggwra / a-m-ggaru (/m-/: nom d’agent)
cRD / a-m-ccaRDu (/m-/: nom d’agent)
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gwmr / a-n-gwmar ([n-]: nom d’agent)
fls / a-n-flus ([n-]: nom d’agent)
3Db / a-n-3Dub ([n-]: nom d’agent)
zzumma a-n-zzammu ([n-]: nom d’agent)
l-bRS / a-n-bbaRSu ([n-]: nom d’agent)
l-jdam a-n-jdam ([n-]: nom d’agent)
La plupart des locuteurs de la nouvelle génération ont perdu cette règle phonologique de l’amazighe depuis que des néologismes malformés comme /tamsmunt/ (au lieu de /tansmut/) par exemple, ont envahi l’espace de la littérature du MCA (Mouvement Culturel Amazighe) et de là, les institutions de standardisation et les centres universitaires de formation.
3- Dissimilation de labialisation secondaire (Xw vs. w et u)
Dans un radical, il ne peut pas y avoir une cooccurrence d’une consonne à labialisation secondaire (kw, gw, qw, ...) et une voyelle ou semi-voyelle labialisée (w, u).
Ainsi, dans le cas où la morphologie dérivationnelle du mot (nom ou verbe) ne fait apparaître aucun /u/ ou /w/, on a ce qui suit comme exemples:
Pour le nom :
a-clif vs. i-clf-an
a-vwRmi vs. ivwRm-an
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a-gDiD vs. i-gDaD
a-Zmu vs. iZma
Mais lorsque la morphologie fait apparaître un /u/ ou un /w/, la labialisation secondaire d’une consonne disparaît en prononciation de surface [...] ; ainsi ce qui suit:
a-krum vs. i-kwrm-an (en sous-jascence : /a-kwrum/ ; mais *[akwrum])
a-vRuD vs. ivwRaD (en sous-jascence : /a-vwRuD/ ; mais *[avwRuD])
a-vyul vs. i-vwyal (en sous-jascence : /a-vwyul/ ; mais *[avwyul])
a-grur vs. i-gwrar (en sous-jascence : /a-gwrur/ ; mais *[agwrur])
a-gru vs. igwra (en sous-jascence : /a-gwru/ ; mais *[agwru])
Pour le verbe :
nda / ndi ndu
Hsa / Hsi Hsu
rba / rbi rbu
bna / bni vs. bnu
Mais lorsque le radical du verbe implique une consonne labialisée (kw, gw, vw, ...), on assiste à la dissimilation du trait de labialisation de cette consonne avec l’émergence d’un vocoïde labialisé (/u/ ou /w/) dans certains thèmes de la morphologie verbale. Ainsi :
Acc Nég. Aor. Représentation sous-jascente
gwna / gwni vs. gnu (en sous-jascence : /gwna/ ; mais *[ gwnu])
kwna / kwni vs. knu (en sous-jascence : /gwna/ ; mais *[ kwnu])
vwla / vwli vs. vlu (en sous-jascence : /vwlu/ ; mais *[ vwlu])
Ce qui précède dans 2- et 3- s’inscrit dans une approche explicative synchronique. Une approche synchronique ne constitue pas nécessairement une hypothèse sur la diachronie.
4- Chute synchronique et/ou diachronique des labiales en début de mot
Les labiales (b, f, m) sont assez instables en début de mot en berbère, même en synchronie. Ainsi dans certains verbes ces consonnes alternent entre apparition et chute. Voici certaines alternance synchroniques Accompli / Inaccompli (tachelhiyt du Haut Atlas occidental):
a- En synchronie
1 fsi / assi "dénouer"
2 fka / akka "donner" ; tikki "don"
3 fsr / assr "étaler"
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4 bjr / ajjr "déchiqueter"
5 bdr / addr "évoquer" ; addur "renommée"
6 bda / addu (empr) "commencer"
7 bDa / aTTu "partager, distribuer" ; tiTTit "partage, séparation"
8 bga / aggu "percer"
---
9 mzi / azzi "écraser ; rafiner"
10 mdi / addi "tendre (un piège)", "orienter vers", "s’opposer à", etc.
11 msl / assl "colmater", "boucher"
12 mDL / aTTL "enterrer"
b- En diachronie
Comme ce phénomène s’applique même aux emprunts (v. l’exemple-6), cela explique des cas diachroniques comme /a-Zalim/ "oignon". C’est un emprunt au sémitique du Nord (/pSal-im/ en punique et en hébreu, d’où l’arabe /baSal/, le /-im/ étant à l’origine un suffixe du pluriel en sémitique du nord). Dans le processus d’emprunt, le berbère a intégré le suffixe /-im/ au radical (comme dans /a-vanim/ "roseau" vs. Sém. du Nord /qan-im/ "roseaux"), a transformé /S/ en /Z/ du fait que sont système phonologique ancien ne contient pas de phonème /S/ et a supprimé la labiale du début du mot donnant ainsi /a-Zalim/.
- Pour le détail de ce qui précède, voir, entre autres, les travaux suivants :
Elmedlaoui, M. (1995), Aspects des représentations phonologiques dans certaines langues chamito-sémitiques, Publication de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat, série Thèses et Mémoires, n°23.
Elmedlaoui M. (1995)-b: "Géométrie des restrictions de cooccurrence de traits en sémitique et en berbère: synchronie et diachronie", Revue Canadienne de Linguistique (40)1 pp:39‑76.
Elmedlaoui, Mohamed (2011) "Le groupe berbère". Pp. 243-260 in Emilio Bonvini, Joëlle Busuttil et Alain Peyraube (sous la direction de), Dictionnaire des langues. Quadrige / Presse Universitaire de France.
Elmedlaoui, Mohamed (2012) “Berber”. pp. 131-198 in Lutz Edzard, ed. Semitic and Afroasiaric: Chalanges and Opportunities. Porta Linguarum Orientalium. Neue Serie. Herausgegeben von Worner Diem und Lutz Edzar. Band 24. Harrassowitz Verlag. Wiesbaden. 2012.
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- Une copie en ligne du denier travail ci-dessus (2012) est accessible via le lien suivant :
https://static.blog4ever.com/2006/04/162080/Berber.pdf
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Mohamed Elmedaoui
https://orbinah.blog4ever.com/m-elmedlaoui-publications-academiques
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