De la caricature du prince : Sceau de Salomon ou Etoile de David? Une question d’intentions ou de géométrie élémentaire ?
De la caricature du prince : Sceau de Salomon ou Etoile de David?
Une question d'intentions ou de géométrie élémentaire ?
Mohamed Elmedlaoui
En rentrant au pays (Maroc) d'un séjour de quelques semaines de travail à l'étranger, je trouve l'actualité enchaînée de fil en aiguille sur trois évènements : (1) le malaise de santé de SM en plein mois de ramadan, connu par la suite dans la presse marocaine sous l'appellation diagnostique de "Rota virus" et qui aurait probablement – en fonction de l'avis médical – obligé le souverain, comme tout être humain musulman, à déjeuner comme le stipule le texte coranique, (2) l'action d'un déjeune, cette fois-ci exhibitionniste pour les besoin d'une cause, qu'aurait tentée un groupe de jeunes du mouvement MALI (Mouvement Associatif pour les Libertés Individuelles) le dimanche 13 septembre 2009 à la gare Mohammedia en protestation contre l'article 222 du code pénal qui incrimine la rupture du jeune du Ramadan en public, et ce dans le cadre d'une action de défense des libertés individuelles en général, et enfin (3) l'affaire de la caricature dite de la ammariya où le jeune marié, le prince Moulay Ismaïl fut représenté saluant la foule la main tendue haut et en avant sur le fond d'un drapeau portant une étoile devenue sujet d'une grande controverse d'interprétations géométriques et sémiologiques (voir la caricature in http://www.tunisiawatch.com/?p=778&cpage=1): y s'agit-il d'un hexagramme (étoile à six branches dite Etoile de David ou Maggen David, associée actuellement dans les esprits au Judaïsme en général, mais aussi au drapeau israéliens) comme le veut la police judiciaire, ou bien s'agit-il d'un pentagramme (étoile à cinq branche, traditionnellement connue sous le nom du Sceau de Salomon, ou de celui de bismillah arrahman arrahim et dont le drapeau marocain est frappé au centre) comme le veut le caricaturiste et le responsable de la publication, Akhbar Al-yawm, où la caricature a été publiée ().
Ces trois faits d'actualité ont eu des répercussions de grande envergure sur le plan de la gestion du paysage médiatiques (interrogatoires, poursuites judiciaire et saisie et fermeture administratives d'organes de presse). J'aimerais dire quelques mots aux sujets des deux derniers points dans leur relation avec le type de débat, de faux débat ou de non débat qui caractérisent le paysage marocain.
Les différentes réactions hostiles à l'action du mouvement MALI de la part notamment des autorités, mais aussi de certains milieux faiseurs d'opinion, fut l'occasion pour l'éditorialiste du Journal Hebdomadaire (n° 410, 26 spt. 2009), ABoubakr Jamaï, pour enfin faire publiquement part à ses lecteurs à travers son long édito de 4 pages intitulé "Mon Islam", du cheminement spirituel qui l'aurait conduit des méandres d'un antireligionisme militant, pour le mettre dans la peau d'un bon musulman, «et qui plus est, pratiquant» précise-t-il sciemment. Abstraction faite de la sémiologie politique de ce côté purement individuel affiché au public et au lectorat de la part d'un acteur médiatique qui se prononce chaque semaine sur les questions politiques les plus sensibles d'un pays où le thème du rapport de la politique à la religion est devenu une dimension hautement pertinente pour les enjeux et les positionnement politiques, l'esprit général de l'édito de Jamaï est d'une très haute qualité intellectuelle. Il lance le débat en des termes dépassionnés et loin de tout esprit apologétique, grégaire et communautariste. Jamaï y a brillamment joué par auto procuration le rôle de ces intellectuels marocains dont le silence consternant vient de faire l'objet d'un dossier panoramique de synthèse qui retrace l'évolution du climat intellectuel du Maroc indépendant et que Ruth Grosrichard vient de publier dans le numéro 393 (10 oct. 2009) de l'hebdomadaire TelQuel. Selon l'esprit de l'édito de Jamaï, au lieu que l'attention se focalise sur les détails de l'action des jeunes déjeuneurs du point de vue légal et encore moins du point de vue de ceux qui cherchent systématiquement dans de pareils cas la signature de prétendus instigateurs, comme l'avaient fait la plupart des médias sur les traces et/ou en parallèle des orientations des interrogatoires de la police judiciaire, c'est plutôt un débat de fond sur les libertés publiques en général et dans le rapport de celles-ci avec les convictions et les pratiques religieuses en particulier, qui devient impératif selon l'éditorialiste; et cela relève du rôle des intellectuels et du contenu de l'enseignement et de l'éducation. Dans le numéro 411 (3 oct. 2009) du même Journal Hebdomadaire, l'article de Asma Lamrabet "De la nécessité de débattre de la liberté religieuse" va déjà bien dans ce sens avec beaucoup moins d'apologétique que d'ordinaire. Cet article dépasse la porté éthique de l'édito de Jamaï, qui, tout en se défendant du tribalisme idéologique «des nôtres» et «des leurs», n'a pourtant pas échappé à la tentation de se servir de l'occasion pour stigmatiser ces élites qui se sont acharnées contre les jeunes déjeuneurs et qui, selon lui «portent en bandoulière leur sainte vertu lorsqu'il s'agit de Marocains revendiquant leur liberté de manger en public durant le ramadan, et elle regardent ailleurs quand d'autres Marocains accusés de jihadisme se font torturer dans les prisons secrètes de Témara».
Revenons maintenant à l'histoire de la ammariya et de l'étoile à l'identité controversée. Il est vrai, comme l'a bien souligné R. Grosrichard dans son dossier, que, depuis que l'ancienne école d'intellectuels s'est effilochée et en parallèle avec elle la classe politique en générale pour les diverses raisons que l'essayiste a essayé de circonscrire, ce sont plutôt "des éditorialistes, journaliste ou chroniqueurs qui prennent des risques et paient parfois le prix fort" en s'attelant à la tache de combler le rôle qui échoit normalement et traditionnellement à l'intellectuel et à l'acteur politique. Cette nouvelle catégorie d'agent de la pensée a ainsi tendance à jouer en même temps le rôle d'une classe politique qui, désassociée du ferment intellectuel, n'arrive plus à avoir d'idées cohérentes sur les questions de fond qui animent la société (questions des libertés, du genre, de la religion, de l'espace linguistique). En bref, c'est une tâche multidimensionnelle incommensurable pour un journaliste que de vouloir et pouvoir faire tout cela en marge d'une fonction qui, pour le principe, est une fonction d'information, d'analyse de l'actualité et de variétés culturelles à la rigueur. Il y a d'abord et surtout le problème de la formation en ce qui concerne la tâche d'intellectuel, mais il y a aussi le côté institutionnel et d'organisation pour ce qui est du rôle d'agent politique que cette nouvelle classe se propose de jouer en même temps en plus de son rôle de principe, l'information et du rôle de l'intellectuel. Ainsi, à titre d'example, lorsque le citoyen qui suit une affaire comme celle de la ammariya se demande sur la sémiologie de cette caricature où le drapeau national est impliqué en tant qu'arrière plan du dessin du prince, l'auteur de la "gentille" caricature, Khalid Gueddar ainsi que le responsable de la publication Toufik Bouachrine sont formels. La preuve : leur propres intentions respectives en tant qu'auteur et responsable, qui coïncident sur ce point : «lors des interrogatoires les enquêteurs ont insisté pour compléter le dessin de manière à obtenir une étoile à six branches. Je leur ai répondu n'est du tout plus le notre. Nous ne pouvons être poursuivis que pour ce que nous avons publié et non pour ce qui peut être obtenu à partir de nos dessins, parce que chacun peut obtenir des choses différentes au final» précise Toufik Bouachrine (TelQuel n° 393 ; 10 oct. 2009 ; p 23) se dérobant ainsi derrière une interprétation intentionnelle des lois de la géométrie!
Or les lois de la géométrie, et plus précisément celles de la trigonométrie ne sont pas une fonction d'intention d'auteur émetteur ni d'interprétation du récepteur des figures géométrique: les angles d'un pentagramme (étoile à 5 branches) sont chacun de 36 degrés alors que ceux d'un hexagramme (étoile à 6 branche) sont chacun de 60 degrés. De plus, quel que soit l'angle que l'on considère et place comme sommet d'un hexagramme, celui-ci consiste pour chaque perception en un croisement vertical entre deux triangles équilatéraux, l'un ayant le sommet en haut et l'autre l'ayant en bas, de sorte que les bases des deux triangles forment deux lignes parallèles. Selon nos cours élémentaires sur les théorèmes de Tales, deux lignes parallèles sont deux lignes qui ne se rencontre jamais; et cette disposition de parallélisme, aucune paire de lignes dans un pentagramme ne la présente. En plus de l'usage que l'on peut faire d'un rapporteur scolaire, comme un élève, dans la mesure des angles, il suffit donc pour une figure en étoile que les deux lignes externes de deux angles adjacents soient parallèles, chose bien observable à l'œil, pour être sûr qu'il s'agit d'un hexagramme et non d'un pentagramme. Sur le plan pratique, on peut dessiner un pentagramme sans lever le crayon, chose impossible avec l'hexagramme. Enfin, dans le cas concret de l'étoile controversée de la ammariya où deux angles adjacents sont visible au complet et deux autres en partie, il suffit d'étendre les lignes à l'aide d'un crayon (sans les tordre bien sûr, c'est une tautologie géométrique) pour se trouver par la force des lois de la géométrie d'Euclide devant un hexagramme en bon et due forme. Que cela s'appelle Etoile de David, Maggen David ou autre chose ne relève pas de la géométrie ni du dessin. Or, à ces lois de la géométries élémentaire l'auteur et le responsable de la publication opposent leurs intentions respectives qui s'accordent curieusement sur ce point. A qui donc s'adressent Messieurs Gueddar et Bouachrine lorsqu'ils opposent leurs prétendues intentions aux lois de la géométrie élémentaire et affirment ce qu'ils affirment en jouant le rôle d'agent politique et d'activistes intellectuels? Imaginent-il qu'ils s'adressent à un public d'illettrés ?
En plus, et ceci est juste à titre de digression, l'hexagramme n'a jamais été un vrai symbole du Judaïsme et encore moins un symbole exclusivement judaïque. Ce n'était qu'à partir du 15e siècle que cette figure commence à être investie de connotations juives, et le fait d'en frapper le drapeau israélien n'a été obtenu qu'à l'issue d'une grande controverse. C'est le candélabre à sept branches qui est le vrai symbole du Judaïsme et ce selon le texte même de
L'hexagramme fut aussi un éléments constant de l'iconographie de la numismatique et des sceaux de la dynastie alaouite marocaine jusqu'au milieux du 20e siècles, et l'étoile à six branches, enchâssée dans un croissant, est retrouvée dans la monnaie dite "Riffan" émise par le State Bank of the Riff dans le Nord du Maroc des années 20 du 20e siècle. Les deux dernières pièces de monnaie marocaine frappée de cette étoile ne remontent pas plus loin que l'aube de l'indépendance, notamment les pièces de 100 et de 200 francs de la deuxième moitié des années 1950.
Mais tout ceci n'est que digression et n'enlève rien à la question de savoir qu'elle est la sémiologie de la défiguration des symboles actuels du drapeau national, aujourd'hui que d'autres systèmes d'oppositions symboliques se sont installés dans la synchronie, abstraction faite des évolutions diachroniques. La question se pose d'autant plus que l'attitude qui consiste à ne voir dans la politique du Maroc qu'une série d'applications des dictats de certaines forces extérieures, notamment le lobby sioniste, est devenue une constante intellectuelle dans certains milieux. Ainsi, et en pleine continuité de la controverse sur la nature et la sémiologie de l'étoile de la caricature, Aboubakr Jamaï s'écrie: «Est-il nécessaire de se prosterner devant les lobbys sionistes américains les plus radicaux pour défendre les intérêts du Maroc?». Pour lui, même un calcul diplomatique annimé par le souci de l'intégrité territoriale ne justifie une telle décoration: "Est-ce en compromettant notre intégrité morale que nous allons recouvrer notre intégrité territoriale?", s'écria-t-il. Il s'écria ainsi en protestation contre la décoration par le Royaume du Maroc de "Jason F. Isaacson directeurs des affaires gouvernementales et internationales du Comité Juif Américain". Il fit cela sous le titre "Pas en notre nom" dans l'édito du numéro 412 (10 octobre 2009) du Journal Hebdomadaire, consacré au CV brillant d'un autre prince, Moulay Hicham, que le même éditorialiste présente dans le même numéro (p. 23-25) comme le profil dont le Maroc ne saurait raisonnablement se passer, mais sans préciser dans quel domaine ni sous quelle forme constitutionnelle. A cet égard, le père de l'éditorialiste, Khalid Jamaï - qui s'est attelé de son côté, en parallèle au contexte de la "gentille" caricature, à décortiquer la sémiologie des dispositions de l'album de la famille royale relativement à la place qu'y occupe la personne de ce brillant profil qu'est Moulay Hicham - s'est curieusement empressé de récuser une accusation que, à ma connaissance, personne n'a jamais penser à formuler: «Moulay Hicham n'est ni un pestiféré ni un rougui» précisa t-il. Rappelons que «rougui» renvoie à Rougui Jilali Bouhmara qui, se faisant passer pour un prince prétendant au Tröne a mené un soulèvement armé en 1903 au Nord-Est du Maroc qui essoufflé l'Etat maocain en inaugurant la période du Saïba qui a débouché dans le protectorat.
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