Court témoignage à propos de feu Mouloud Mammeri à l'occasion du 25e anniversaire de sa disparition
Court témoignage à propos de Mouloud Mammeri
A l’occasion d 25e anniversaire de sa disparition
Nous ne nous étions jamais rencontrés et n’avions jamais correspondu. Lui, il n’avait jamais entendu parler de moi; tandis que moi, à part sa grammaire du kabyle, Tajerrumt n-tmazight, tantala taqbaylit que j’avais bien fouillée, ses Isefra, poèmes de Si Mohand ou Mhand que j’avais lus en partie et son Lexique Français-Touarègue, dialecte de l’Ahaggar que je consultais de temps en temps, emprunté à mon ami Mohamed Chami, je ne savais rien de son œuvre littéraire à part le fait d’avoir vu Le bâton et l’opium sur écran, encore étudiant à Fès en 1972.
Et pourtant; c'était un jeudi soir du mois de février 1989; la veille de sa disparition tragique dans son chemin de retour, partant d'Oujda pour Alger. Nous étions assis ensemble à table lors d’un dîner offert pas un notable de la ville d’Oujda. C'était la première et la dernière fois que j'eus l'occasion de l'approcher Mouloud Mammeri de près. Nous avons parlé de beaucoup de choses relatives aux langues et aux cultures dans le Maghreb (on a parlé tout particulièrement d’Ibn Ajerrum, l’auteur d’Al - Ajerumiya en grammaire de l’arabe classique). Tout cela, c'était au terme d'un colloque sur la littérature maghrébine organisé par la faculté des lettres d'Oujda (février 1989 ; v. Ici).
Mon histoire avait commencé lorsque, pour établir la liste des invités par la commission organisatrice dudit colloque, une large partie des membres de la commission s'est catégoriquement opposée à l'invitation de celui qu'elle considère comme suppôt du colonialisme. Parmi la mince minorité de collègues qui étaient favorables à ouvrir la porte pour tout le monde sans procès idéologique, il n'y avait que Mohamed Chami et moi-même à jouer le bras de fer, le premier pour moi personnellement dans ce mode activiste d'aborder la question de la langue et de la culture. J'ai tenu ferme et j'ai usé de pas mal de ruse. Mon ami Chami, étant alors déjà plus que marqué, et par conséquent prévisible et facile à neutraliser dans l'entourage; je lui ai donc demandé, entre nous, dès le début d'adopter un profil bas et de me laisser faire, moi qui n’avais à ce moment que la marque d’érudit en phonologie (la syllabe plus précisément). Mon idée et feuille de route était simple et est la suivante: La thématique du colloque (littérature maghrébine) était novatrice et accrocheuse à l'époque. Mais j'imaginais bien les calculs partisanes et idéologiques qui allaient être mis en avant. J'ai donc choisi à chaque fois faire de sorte qu'on reporte la question de la liste des invités à la fin des travaux de la commission.
Une fois l'annonce du colloque et de sa thématique fut faite dans la presse, et que la question de la liste est posée par la suite, mon argument simplifié auprès de la commission fut que, étant donné l'envergure de l'œuvre littéraire de Mammeri et sa qualité de membre fondateur de l'Union des Ecrivains du Maghreb, nous n'avons pas le droit d'organiser un colloque sur la littérature maghrébine pour en exclure par la suite les fondateurs de cette nouvelle littérature. Soit, donc, on invite Memmeri à côté de Mortad et d’autres de toute obédience, et chacun est alors libre de lui ‘reprocher’ une fois sur place ce qu'il considère de droit comme reproche, et se sera à lui de s’expliquer; soit on annule le colloque, une option qui n'était bien sûr plus possible. Et ça a marché.
Une fois le colloque tenu, et une fois que les responsables de la faculté et les autorités locales ont décidé d'en déplacer la poursuite des assises, de la faculté vers l’espace de la foire, à cause de la mobilisation des étudiants par la partie qui était hostile à la présence de Mammeri, tout le monde fut fasciné par l’intervention et les propos posés et pesés de celui-ci et tous les hypocrites ont commencé à se précipiter pour poser avec lui en photo. Il n'y avait que deux voix discordantes: celle de l'un des ses compatriotes participants qui étaient nombreux (Noura Tigziri, Amine Zaoui, Abdeljalil Murtad et Abdelmalek Murtad), à savoir l'un des deux frères Murtad (je ne me souviens plus lequel des deux) qui est entré dans des détails de statistiques de je ne sais quelle source pour dire que la population de culture berbérophone ne représente que trois pour cent en Algérie, et celle d'un apprenti des nôtre qui, après avoir évoqué le leitmotiv de "la politique du Maréchal Lyautey" a fini son intervention par rappeler un adage populaire: shelH u-lfar, la twerrihum bab ddar ("le Berbère et le rat, ne leur montre jamais la porte de ta maison").
... Au bout de notre dite conversation ce soir là, on s'est en quelque sorte découvert de près l'un l'autre. Il sortit alors de la poche gauche de son manteau gris un petit calepin carré de couleur marron, et y note mes coordonnées en me disant: "nous aurons beaucoup de choses à faire ensemble; mais il faut que je parte demain; on m'attend à Alger". Le lendemain vendredi vers 11h, un de ces jours de tempêtes de sable de l'Oriental, nous étions quelques uns à lui dire au revoir devant l'hôtel Moussafir alors qu’on se préparait pour le dernier épisode d’un colloque à la marocaine (un énième méchoui quelque part). Il s’engouffra tout seul dans sa vielle voiture … et demain matin, l’information nous tombe sur la tête comme une foudre: un arbre du sort avait mis terme à l'épopée d'un grand écrivain dans une nuit tempétueuse, non même pas là où on l'attendais, mais en pleine route. C’était comme un séisme existentiel pour moi: J'eus l'impression d'avoir été instrumentalisé, à mon échelle, par le sort pour s'accomplir. Comment est ce que les sorts sont fixés sur le plan pragmatique? Quelle mouche du sort m’avait piqué, moi qui n’avais jamais choisi le mode activiste pour aborder la question de la langue et de la culture? Nous n’étions pas amis (qui s’invitent souvent l’un l’autre), ni même pas de simples connaissances; nous n’avions jamais correspondu; et ses domaines d’intérêt ne se recoupent que très marginalement avec mon domaine d’intérêt en tant que linguiste phonologue. Et si, par hasard, me suis-je demandé, cette maudite mouche du sort ne m’avait pas piqué tout d’un coup comme un taon pour que j’adopte cette attitude de fer lors de ces tractations d’établissement de listes d’invités dans une réunion terre-à-terre comme les autres? Je me suis senti comme coupable de m'être laissé instrumentaliser par le sort.
J’ai décidé de me racheter par le biais de ce que je savais faire, que j'avais l'habitude de faire et que je continue de faire: la recherche et l’écriture. Je reviens sur le premier manuel de grammaire amazighe écrit en langue amazighe (Kabyle), le "Tajerrumt n-tmazight, tantala taqbayliyt" (M. Mammeri 1976). J’en ai fait une lecture analytique publiée successivement sous différentes formes, à chaque fois revues et augmentées, en arabe, en français puis en anglais. Les versions, arabe et française, sont sorties, à une dizaine d’années d’intervalle, dans la revue Awal fondée par Mouloud Mammeri lui-même à Paris et dirigée depuis par Tasaadit Yacine. La version anglaise est sortie dans un volume collectif "Indigenious Grammars" paru en Allemagne quelques années plus tard ; voir ci-dessous. Un quart de siècle après, ce triste anniversaire ne passe pas pour moi inaperçu.
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المدلاوي، محمد (1990) "مولود معمري، اللغوي: قـــراءة في كتـــاب 'تاجرومــت ن-تمازيـــغت'" Awal, n° spécial (1990): 262‑251
Elmedlaoui, M. (1998) "'Tajerrumt' de Mouloud Mammeri: lecture analytique"; Awal, Cahiers d'Etudes Berbères n° 18, pp: 115-131; Paris. (voir Ici)
Elmedlaoui, M. (2001) "A Cross-cultural reading in a Kabyle Berber Grammar Hanbook (Mammeri's Tajerrumt)"; pp: 379-401 Hanns Kniffka, ed. Indigenous Grammar Across Cultures. Sonderdruck 2001; Peter Lang. Frankfurt am Main. Berlin. Bern. Bruxelles. New York. Oxford. Wien. (voir Ici)
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