Changement et continuité dans l'Ahwash des Juifs-Berbères
"Changement et continuité dans l'Ahwash des Juifs-Berbères"[i]
REMARQUES SUR LE TRAVAIL D'ETHNOMUSICOLOGIE
DE SIGAL AZARYAHU
Mohamed Elmedlaoui
Institut Universitaire de
Introduction
Le terme 'ahwash' couvre plusieurs variétés locales d'un genre musical collectif villageois berbère du Haut et de l'Anti-Atlas et environs (Maroc) où les participants associent danse et chant (Chottin 1933, 1938: 23-27; Lorta Jacob 1980: 65-69 ; Aydoun 1992: 63-70; Rovsing Olsen: 1997: 78-108). En dépit du manque d'une idée claire sur l'histoire sociolinguistique de la façon dont différentes formes de Judéo-Berbère auraient interféré dans la vie quotidienne des ces communautés juives (v. Zafrani 1973; cf. Lakhsassi 2006) qui ont vécu depuis des siècles dans ces régions (v. Schroeter 1997), la participation juive dans l'ahwash en tant que danseurs, chanteurs et même en tant que improvisateurs des joutes, a bien été attesté dans des localités telles que Tifnut, Tidili, Ayt-Bouwulli, Ighil-n-Ughu, etc. (v. Azaryahu; Lakhsassi). En fait, malgré le rôle joué par les artistes juifs dans le développement historique de la musique marocaine savante et populaire, notamment le Shaabi et
On l'a appris grâce à la monographie de Sigal Azaryahu 1999, intitulée «Processus de préservation et de changements dans la musique des Juifs de l'Atlas en Israël» (trad. de l'Hébreu) ainsi qu'aux échantillons vidéos de cérémonies vives de cet ahwash d'outre mère que cet auteur a pu enregistrer auprès de certaines communautés de Juifs Marocains établis en Israël depuis les années cinquante du 20e siècle. Je me propose donc dans cet exposé, de faire une lecture de cette image en miroir que les vicissitudes de l'histoire nous renvoient à travers les éléments des travaux de Sigal Azaryahu.
C'est une histoire bimillénaire, celle de la communauté juive marocaine (Laredo 1954, Zafrani 1983, Schroeter 1997). Cette communauté compte deux sous-ensembles ethnico-culturels : les toshavim (תושבים) "autochtones" et les megorashim (מגורשים) "expulsés (d'Andalousie)". Même si les manuels de l'histoire, qui établissent le quotient moyen d'instruction collective, restent encore muets sur ce point, cette communauté a marqué l'histoire du Maroc depuis l'antiquité à différents plans et dans plusieurs secteurs (religion, langue, culture populaire, linguistique, annales / hagiographie, musique, arts et métiers, etc. v. المدلاوي 1994 , Elmedlaoui 2006 et à paraître). Pour ce qui est du secteur qui nous intéresse ici, la contribution de la communauté juive marocaine à l'évolution et à l'histoire de la musique marocaine et maroco-andalouse est grande, qu'il s'agisse des adhkar ou piyotim (voir. le CD de Zafrani, v. aussi Hassin-Maman), des 'naoubat' andalou-gharnati (v. الحداوي , Chetrit 1998, Morag, Amzalag, Zrihan ; voir aussi les sites de hattazmuret ha-andalusit haisraelit d'Asher Knafo et Anda-El Andalusian-Israel Orchestra d'Avi-Eilam Amzalag); qu'il s'agisse de la chanson populaire (Sami Almaghribi, Pinhas Cohen et autres; voir le site suivant
(http://www.dafina.net/lamusiquejuivemarocaine.htm,), ou qu'il s'agisse enfin de l'ahwash et des rways qui nous concernent ici en premier lieu (v. Azaryahu 1999).
La thèse 'MA' de Sigal Azeryahu (1999):
Il s'agit dune description comparative ethnomusicologique en hébreu (définition des rôles, des étapes, des fonctions et des significations) de certaines variétés de l'ahwash du Haut Atlas central, et de l'ahidus du Sud Moyen Atlas. La comparaison est faite entre les formes d'origine dites האחווש הקנוני ("ahwash standard") par l'auteur et qui sont audiovisuellement documentées grâce aux données d'un travail de terrain dans les localités d'origine à Igloua , Tidili (Haut Atlas central au Sud de Marrakech) et Ait Bougmmaz (Sud-est d'Azilal), et les aspects que prennent ces formes d'origine dans le contexte de l'immigration judéo berbère marocaine en Israël, notamment dans les mochavim d'Aderet et de Shokeda (האחווש כשמבוצע בארץ).
La thèse 'PhD' de Sigql Azeryahu (en cours à l'UC. de Louvain)
Il s'agit d'un approfondissement de l'enquête et de l'analyse dans la même direction que celle de la thèse MA, en explorant notamment d'autres manifestations de la musique judéo berbère sur le terrain, et en observant les mutations que cette musique subit à travers les décennies (et non pas seulement les générations) par rapport aux formes d'origine sur les deux plans, musicologique et ethnologique.
Remarques sur des spécimens vidéo de la musique judéo berbère
(Document video de Sigal Azaryahu):
a. L'ahwash du mochav d'Aderet dont les acteurs et actrices - des toshavim fort probablement - proviennent des Igloua, et de Tidili dans le Haut Atlas central, se caractérise par une assez grande adhérence aux canons de l'ahwash des lieux d'origine. Cela se voit, entre autres, d'après traits suivants : commencement par un chauffage fonctionnel mais aussi rituel de tambourins authentiques ('tagnza') sur un brasier (מדורה) afin d'en ajuster les trois tonalités; un cendrier improvisé en 'naqus'; une bonne maîtrise du rythme quinaire 5/8, typique de l'ahwash, avec ces trois tonalités de percussion de tambourins (lhmz, agllay et nnqqr); des youyous justes et une danse sobre aux épaules et à mouvement vertical du corps; maîtrise des modes pentatoniques des airs; mémorisation d'un riche répertoire de chants et de mélodies anciennes; une diction chleuhe juste et une prononciation chleuhe standard (pas de perturbation des sibilantes comme les megorashim). Par contre, il se trouve que les hommes ont parfois des difficultés à tenir le registre haut, qui caractérise la vocalise du chant chleuh; ils dégradent ainsi parfois la voix d'une octave par rapport aux femmes pour certains airs.
b. L'ahwash / ahidus du mochav de Shokeda , dont les acteurs et actrices - des megorashim fort probablement - proviennent des Aït Bougmmaz (une zone tampon entre l'aire chleuhe et l'aire tamazighte), se caractérise par une interférence des genres (ahwash / ahidus / bughnim) et par beaucoup d'éléments épars qui connotent des aspects d'acculturation aux niveaux, entre autres, (i) de la langue (accent andalou : un /l/ emphatisé et une perturbation des sibilantes), (ii) des répertoires (paroles, mélodies et danses), (iii) du costume masculin, et (iv) des instruments de percussion (tambourins légers). Il s'agit donc fort probablement d'une communauté de megorashim d'origine andalouse, déjà perturbée il y quelques siècles par un changement d'environnement linguistique et socioculturel suite à l'expulsion consécutive à
c. Deux rays instrumentistes
(i) le rays instrumentiste, Barukh Ben David, de la ville de Petah Tikva, qui joue à la vielle monocorde, le fameux rebab du Sous. On le voit sur CD assis dans un fauteuil au terme d'une fête d'ahwash, vêtu à l'occidental et jouant à un rebab du Sous de qualité plutôt médiocre, apparemment improvisé.
(ii) le rays instrumentiste, Shalom Swissa , de Beer Sheva, qui jouait au tétracorde pincé ('lutar'), qui avait une voix juste et une maîtrise des modes pentatoniques de la musique chleuhe. Il est décédé il y a quatre ans emportant avec lui un énorme matériel du répertoire de la chanson des rays de la première moitié du 20e siècle qu'il apprenait par coeur. On le voit sur le CD assis également sur un fauteuil, vêtu lui d'un costume marocain en face au 'rébabiste' Ben David avec lequel il échange une longue série de strophes de l'ancien répertoire des rays, tout en jouant son tétracorde de même qualité que le rebab.
Intérêt scientifique du travail d'Azaryahu
En décrivant et en documentant ces cérémonies et ces genres musicaux dans une perspectives historico-comparatiste, le travail d'Azaryahu offre à l'observateur une opportunité singulière d'observer, en
Références choisies
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<Trad. Processus de préservation et de changements dans la musique des Juifs de l'Atlas en Israël">
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