OrBinah

Ma part de vérité sur l'IRCAM (En hommage à M. Chafik) 2ième Partie

Ma part de vérité sur l'IRCAM

(En hommage à Mohamed Chafik)[i]

(2ième Partie)

 

 Mohamed Elmedlaoui [ii]

Institut Royal de la Culture Amazigh

Rabat 17 05 2004

 

 

 

 

5. Un principe pervers qui sape la marche de l'IRCAM

 

Dès qu'elle s'est attelée aux fonctions propres qui relèvent de sa vocation d'après les textes portant sa création, l'institution académique, IRCAM - que le dahir a bien appelée 'Institut' et non un Conseil, à l'instar par exemple du Conseil Supérieur de l'Enseignement - s'est trouvée confrontée à certaines contradictions des éléments même de la force qui avait permis à cette entreprise titanesque à laquelle Monsieur le Doyen, Mohamed Chafik avait largement contribué,  de dépasser une phase sociopolitique très critique, en décongestionnant notamment la situation conjoncturelle difficile évoquée à la troisième section du présent texte.

 

En fait, pour réussir la tâche conjoncturelle, l'urgence de ladite situation, ainsi que la  multitude et la diversité des parties et instances que cette situation interpellait, ont conjointement fait que la dotation des instances de l'Institut Royal de la Culture Amazighe (Conseil Administratif  et centres de recherche) en élément humain s'est faite dans des conditions très particulières, où les fonctions sociopolitiques conjoncturelles primaient à tous les niveaux. Or, quels que puissent être les textes, qui sont pourtant nécessaires, importants et toujours utiles, le génie d'une institution ne peut être, après tout et avant tout, que l'émanation des profils de ses ressources humaines en ce qui concerne les types de compétences et d'expériences qui sont pertinentes pour ce que définissent les textes comme vocation de l'institution en question. C'est banal comme assertion, mais on a souvent tendance à l'oublier sous la pression de l'urgence de la conjoncture, et à espérer trop vaguement, par la suite, que les choses s'améliorent d'eux-mêmes, comme par enchantement, par le simple écoulement des eaux sous les ponts à où il y en a.

 

La première manifestation - et elle est capitale - des contradictions internes relatives à la nature, à la vocation et au fonctionnement de l'institution IRCAM, dans le rapport de tous ces attributs avec les profils concrets des ressources humaines disponibles dans le pays et avec les procédés adoptés pour en doter cette institution, a donc été et est toujours l'ancrage, dans les esprits, de ce curieux prétendu principe dit 'd'équilibre de représentation', qui vient d'être évoqué plus haut et que ni le discours royal d'Ajdir, ni le dahir portant création de l'IRCAM, ne prévoient ni en esprit ni en lettre, mais qui est tout simplement déduit par une sorte de sémiologie politicienne sournoise, et consacré de facto dans la pratique, sans que jamais personne ne pose, ou ne se pose même pas, de question à propos de son bien fondé légal. Tout le monde a fini par y croire comme on finit par croire à une hérésie séductrice ou à apprécier une mode de mauvais aloi consacrée par la masse;  et jamais personne ne s'est interrogé jusqu'ici ni sur sa légalité, ni sur sa pertinence ou son utilité et/ou efficacité pour la vocation finale de l'institution tel que la définissent très bien les textes d'une façon qui transcende sans équivoque toute fonction politique conjoncturelle - légitime d'ailleurs un fois menée sur son propre terrain,  et qui jure avec toute sorte d'instrumentalisation politicienne, stigmatisée d'ailleurs dans le discours royal à l'occasion de la promulgation du dahir portant création de l'Institut.[iii]

Personne non plus n'a même pas d'idée ni des critères et traits distinctifs qui attitrent l'individu à prétendre au statut de 'représentant' d'une région ou d'une tribu (lieu de naissance ? lieu de travail ? l'arbre généalogique ? une appartenance associative ou politique?), ni des procédés opératoires formels qui permettent de respecter ce prétendu principe (des titres et pièces à produire ? un témoignage sur l'honneur ? cautionnement ou recommandation par écrit ? ou par message GSM ?).

Tout ceci a laissé la porte grand ouverte à toute sorte d'arbitraire, dont certaines décisions de structuration administrative des centres de recherche et leur dotation en élément humain, notamment la direction du centre d'aménagement linguistique, décisions qui sont allées au delà du tolérable parce qu'outrepassant même les textes réglementaires de l'Institut sous couvert de ce prétendu principe et qui donnent l'impression aux gens concernés que la gestion des ressources humaines de l'institut est définitivement scellée par l'emprunte de la méthode des tractations obscures, imposée à l'étape de départ par certains aspects de la conjoncture du genre signalé à la troisième section. Ces décisions ont constitué au moment où elles ont été prises une pâture sensationnelle pour toutes les 'mauvaises' langues ou les langues rebelles qui, tout en n'osant rien faire pour déjouer la conspiration du silence en questionnant sereinement, mais sérieusement, le fond du problème avec toute la responsabilité qui s'impose, ne ratent pourtant pas d'occasion pour gagner du crédit moral et de la réputation de la jeune institution.

Les 'sages' langues, par contre, se sont mises, au moins dans les antichambres, à se demander, à la suite des dites décisions, si cette jeune institution ne devenait déjà pas une institution des intrigues séniles d'un conclave gérontocratique de quinquagénaires et plus, puisque les jeunes qu'on n'a pas réussi à dresser pour reconnaître 'la Voix de son Maître' n'y savent plus sur quel pied danser et n'y entrevoient plus de perspectives claires d'évolution dans la carrière sur la base naturelle de la compétence et du mérite professionnel, du moment où tout semble devoir y être éternellement régi par les aléas des parités de certaines appartenances quasi-totémiques dans la bourse obscure des spéculations sur le lobbying des'équilibres régionaux' qu'on établit et refait dans tous les sens selon la conjoncture.

 

Ce curieux principe de représentation a tellement gagné en force de droit coutumier - puisqu'il ne repose sur aucun texte - que les responsables de cette jeune institution qui se veut moderniste non pas seulement en style des locaux mais surtout en esprit, se sont sentis récemment dans l'obligation de brosser, à l'usage de la presse nationale et de l'opinion publique à travers elle, un tableau 'statistique' qui prétend donner le pourcentage des appartenances régionales du personnel entre 'Nord', 'Centre' et 'Sud'. Le document intitulé "Note sur l'effectif du personnel de l'Institut Royal de la Culture Amazighe au 31/12/2003", qui contient ce curieux tableau et qui a été solennellement distribué aux représentants de la presse nationale le 31 12 2003, tire en plus, des 'données' du fameux tableau la conclusion suivante:

"Les donnée du tableau ci-dessus montrent que la région du Nord est sous représentée, en dépit des efforts déployés par le Rectorat pour réaliser l'équilibre".

 

Après avoir décliné toute responsabilité administrative et gestionnaire de ce prétendu déséquilibre avancé comme évident, pour la rejeter sur "la plupart des chercheurs de la région du Nord, qui avaient été fortement sollicités par le Rectorat en 2002 [mais qui] ont décliné son offre", le commentaire sur le fameux tableau tire la morale suivante comme guide d'avenir :

"Pour palier le manque, un effort doit être fait pour recruter d'autres chercheurs de la région" (sic).

 

Et comme l’adage arabe dit que «lorsque le chef de famille se met à battre le tambour, on a plus le droit de faire des reproches aux enfants s’ils se mettent à danser », on ne doit pas s’étonner aujourd’hui (mars 2008) à entendre dire, à la suite d’une conférence sur "Le rôle de a langue maternelle dans le développement humain", faite par l’auteur de cet hommage à Nador, les propose suivants : «Pourquoi la présence de M. Elmedlaoui ?? Qu’est ce qu’il vient faire a Nador ?? Nous n’avons pas besoin de vous, monsieur ; on a nos linguistes, nos littéraires ; on peut faire cette intervention sans vous et d’une manière à transmettre notre message mieux que vous », des propos signés ainsi "Hossain Farhad, Etudiant Chercheur" et affichés immédiatement après la conférence sur la page <http://www.nadorcity.com/news/?c=117&a=1873>.

 

Même si notre presse intelligente n'a pas du tout bronché au sujet de cette drôle d’arithmétique moyenâgeuse à laquelle s’est livré ledit rapport de l’Ircam sir la ‘représentativité régionale relative’ et qui fait, en fait, implicitement référence aux tribalismes ‘khaldouniens’ des Sanhaja, Zénata et Masmouda, personne pourtant, les braves journalistes en tête, n'a d'idée ni des bases juridiques d'une certaine 'discrimination positive' dans le recrutement public au Maroc, ni de la logique qui lie la compétence scientifique en un aspect donné de la nature, de l'histoire ou de l'humain dans un lieu géographique, à un quelconque type d'appartenance administrative, ancestrale ou purement affective à  ce lieu. Pour réaliser une étude sérieuse sur la structure géologique de la zone de la fameuse Talsint par exemple, il n'est pas nécessaire d'y avoir le berceau de sa grand-mère ou la tombe de son arrière grand-père. Il suffit juste, mais c'est la condition sine qua non, d'être compétent en géologie, et que l'institution d'attache programme la zone en question dans son programme d'action de recherche. Siybawayhi, fondateur incontesté de la grammaire arabe n'était pas de l'Arabie, et Morris Halle, coauteur du fameux et révolutionnaire 'Sound Petterns of English' avait un milieu slave comme berceau d'enfance et bercail d'ancêtres. Charles André Julien et Paule Bascon n'étaient pas des Marocains, ni Jaques Berque un Isksiwi. De même, Marçais, Renisio, Destaing, Laoust, Aspinion, Penchoen, Galand, Galand-Pernet, Peyron, Stroomer, Boogert et  - pour faire un raccourci des générations - le tout jeune Marten Kossmann, ont chacun ses appartenances de toutes sorte hors du pays maure. Pourtant, les gens sérieux ici au Maroc comme ailleurs, pour qui, toute nouvelle paire de manches de recherche commence toujours là où l'ancienne s'arrête, au lieu que cette activité devienne un recommencement perpétuel absurde, continuent toujours à faire référence aux travaux de cette dernière catégorie de gens sur le Maroc, qui ne sont pourtant ni du Rif, ni de l'Atlas, ni du Sous, ni de cet Est qu'on a souvent tendance à oublier comme par hasard, ni même pas du Maroc.

 

Ceux qui continuent à croire que cette aptitude à 'désethniciser' l'objet de sa recherche et de son étude demeure le lot et le privilège exclusifs des seuls Autres, les 'irumiyn' ou les 'ÚÌã', doivent alors avouer que - malgré tout les fracas de verbiage - ils portent en fait toujours sur les épaules de simples têtes d'indigènes, ces indigènes qui sommeillent aux fonds d'effigies modernisantes et des têtes dont la matière grise demeure en réalité et malgré les apparences moulée dans le patron de la culture colonial au sens large du terme. Autrement, comment expliquer cette inaptitude à concevoir une transcendance et un détachement ethnique par rapport à l'objet de son étude et à se résigner à croire que seuls les 'irumiyn' infidèles ont cette aptitude? Autrement comment expliquer, pour le secteur qui nous est pertinent ici,  le cas de méconnaissance où se trouve, pour cette catégorie de gens, le mémorial dictionnaire de l'amazighe commun (ÔÝíÜÞ 1990, 1996, 2000), pour ne pas déjà dire 'de l'amazighe standard', dont l'accès aux trésors reste barré par les écrans des préjugés d'une idéologie étroite et stupide pour tout un corps de bricoleurs qui prennent les règles et le génie de la langue à la légère en prétendant précisément la défendre, la moderniser et la 'purifier'  surtout? Un dictionnaire où tout amazighophone - marocain au moins – est en mesure de se reconnaître, comme l'a bien souligné un jour notre collègue Mohamed Boudhan,[iv] même si ce collègue, membre du Conseil Administratif de l'IRCAM, avait inscrit sa remarque  dans le contexte d'un raisonnement inverse, celui précisément d'un plaidoyer pour le principe d'une 'représentativité régionale' à l'intérieur de l'Institut, qu'il a développé à travers une série d'éditoriaux de son mensuel, Tawiza, où il anticipait sur les perspectives de la succession de M. Chafik à la tête de l'IRCAM et où l'esprit 'très moderniste'  qui sous-tend ce principe le poussa même à stigmatiser la 'menace' de ce qu'il n'hésitait pas à appeler 'chleuhs de service'.

 

Je ne sais pas très exactement dans quelle case le calcul sophistiqué du fameux tableau d'appartenances régionales, récemment distribué par l'IRCAM, aurait catégorisé cet iconoclaste, rebelle aux classements par colonnes régionales, que semble être l'auteur de ce dictionnaire qui a l'air de déranger comme dérange toute œuvre qui transcende la petitesse. Mais il est sûr logiquement, que cet auteur ne peut ni figurer à la fois dans les trois colonnes (Nord, Centre et Sud) ni rester hors du tableau.

 

Cette tendance post-coloniale à vouloir ethniciser les secteurs de la recherche me rappelle, à titre anecdotique, une conférence que j'ai faite le 16 juin 1991 à la Salle Delamarre de l'EPHE à la Sorbonne dans le cadre des réunions du GLECS sous le titre de "extension de la racine en Chamito-sémitique", en présence de beaucoup de collègues et d'illustres professeurs, dont notamment L. Galand, H. Rozen, F. Dell, A. Lonet, H. Jouad, M. Masson, A. Leguile, etc. et où, après avoir fait une comparaison systématique de certains procédés communs d'extension de la racine en arabe, en hébreu et berbère, et après avoir eu droit à des enrichissements et à des remarques pertinentes et constructives de la part de bien d'intervenants à la discussion, l'animateur de la séance, un membre du GLECS se croyant dans l'obligation de défendre la spécificité d'une langue qu'il maîtrise et étudie et qu'il juge, semble t-il, devoir rester la chasse gardée d'une seule catégorie des humains telle que les Ecritures les ont différenciés, prit enfin la parole pour exprimer ses 'regrets' de me voir me 'hasarder' dans le domaine d'autres langues que le berbère, à propos duquel seul, prétendit-il, les membre de l'assistance s'attendaient à ce que je les éclairasse! Il refusa par la suite, en se dérobant sans cesse dans tous les coins et en avançant à chaque fois un nouveau prétexte, de publier le texte de la conférence  dans les actes du GLECS, comme le prévoient les dispositions internes de cette société savante. Le texte fut en fin de compte publié ailleurs dans Linguistique Africaine (n° 12 / 1994).[v] C'est là, la culture post-coloniale selon laquelle tout ce à quoi peut avoir droit un 'ex-indigène' qui ose prétendre à la science dans ce secteur de la recherche, est de décrire le parler de son patelin ou de sa tribu dans le cadre de la catégorie de la fameuse série de type : Description 'X'-ist d'un parler berbère des ayt-Y sous la direction Z  ('X' étant la chapelle scholastique d'un maître à penser de la métropole 'Z';  et 'Y', la localité ou la tribu du l'aspirant-linguiste 'indigène'). Prétendre à avancer des hypothèses descriptives ou explicatives sur l'extension de la racine en chamito-sémitique par exemple, sur la spirantisation en hébreu biblique ou en tigrinia, sur la palatalisation et la labialisation en chaha, sur la nasalisation en français, ou sur … un parler berbère autre que celui de son propre patelin, serait le comble du sacrilège dans cette école qui a encore pourtant tant de disciples fidèles parmi nous au Maroc, qui prétendons pourtant œuvrer pour la promotion d'une "société moderniste et démocratique".  Selon la logique de cette tradition coloniale que les anciens colonisés perpétuent de façon anachronique et qui sert, au passage, de couvert académique au jeu pervers politicien des équilibrismes de 'représentation régionale', le tableau des recensements comparés de 'représentativité'  au sein de l'IRCAM aura besoin non pas de trois colonnes, arbitrairement établi dans le document distribué à la presse, mais d'autant de colonnes que des 'Ayt-' dans le pays.

 

Personne n'a d'idée non plus, les braves journalistes en tête, ni des bases juridiques de ce découpage particulier du territoire national en zones de  Nord, Centre et Sud, ni des contours (géo)graphiques précis et explicites de la représentation de ce découpage sur une carte officielle  pertinente du pays, ni du type de fiches de données des ressources humaines sur la base desquelles les chiffres du prétendu recensement auraient été obtenus, sachant qu'il n'y a aucune rubrique dans les documents du PV de prise de fonction qui exige de l'intéressé de décliner son appartenance régionale à supposer que c'est là un concept administratif évident, ni son identité tribale pour quiconque en ressent vibrer la fibre à la place du diapason de l'hymne national.[vi]

Personne ne sait non plus, abstraction faites des entorses légales, administrative et d'adéquation dont souffre déjà l'établissement du tableau en soi, sur la base de quel type de calcul statistique les prétendues 'données chiffrées' (i.e. 10 chercheurs pour le Nord, 22 pour le Centre et 15 pour le Sud) ont été interprétées comme dénotant une 'sous représentation' de ce que le document appelle vaguement 'région du Nord'. S'agit-il du rapport de comparaison entre les chiffres affichés sur le tableau  et les chiffres des potentialités dites 'régionales', calculées pour la région en question en terme de 'chercheur par mille habitants' ? Ou bien s'agit-il d'une simple comparaison interne entre les chiffres absolus du tableau, dont l'établissement souffre déjà des différents vices d'adéquation qui viennent d'être évoqués ?

Enfin étant donné les chiffres de ce drôle de recensement très administrativement professionnel fait à la veille d'un recensement national et qui se veut très politiquement correct et très nationalement citoyen, et qui s'inscrit, à en croire le leitmotiv des déclarations officielles des nouveaux responsables de l'Ircam, dans la perspective d'une contribution active de cette jeune institution à l'établissement d'une "société  moderne et démocratique", on imagine facilement que beaucoup de ces citoyen(ne)s recensé(e)s, catégorisé(e)s et casé(e)s à leur insu, puis malgré eux/elles, seraient curieux/ses de savoir dans quelle catégorie (nordiste, centriste ou sudiste?) ils/elles auraient été(e)s casé(e)s en vertu de la kabbale du fameux recensement; et ce puisque personne n'a été sollicité un jour de décliner une telle appartenance.

Le profil citoyen hypothétique suivant par exemple: un citoyen dont la catégorie ne devrait pas être une denrée rare dans ce pays respectable et pas du tout moyenâgeux, qui aurait vu le jour et aurait fait ses études primaires disons à Figuig, ses études secondaires et universitaires disons à Fès, qui serait par la suite entré dans la vie active pendant deux ou trois décennies disons à Rabat où il aurait en plus assumé en même temps, au nom d'un parti politique ou à titre indépendant, des responsabilités d'une vraie représentation locale et/ou nationale tel que les conditions, le mode et les procédés de ces représentations sont régies par la loi électorale qui définit notamment le découpage territorial pertinent, un citoyen qui aurait par dessus tout, pour ce qui est vraiment  pertinent pour la vocation authentique de l'institution, mené, en tant que chercheur, des recherches spécialisées sur plusieurs aspects ou variantes de la culture et/ou de la langue amazighe. Quelle aurait été donc la case (Nord, Centre ou Sud) d'un tel type de citoyens dans le fameux tableau distribué à la presse comme témoignage de glasnost? Faudrait-il bannir d'avance ce type de profil comme iconoclaste d'une institution qui s'inscrit dans le cadre d'un projet d'une société moderniste et démocratique ?

 

Bref, le principe pervers de la représentation, avec tout ce qu'il implique comme jeux hasardeux  d'équilibrismes, serait à mon sens une véritable boîte de Pandore, «une voie dont les conséquences seront difficiles à maîtriser » selon les termes de notre collègue Aziz Kich (2004). Conçues au niveau où on en fait maintenant monnaie courante, le concept de représentation régionale et sous-régionale n'a ni limite ni critère. Il est ouvert sur l'arbitraire qui donne dans un abyme vertigineux. On n'épuisera jamais les particularités vraies ou fictives. Des militants plus 'durs' ou de nouvelles associations jeunes et moins jeunes, il peut y en avoir à volonté du jour au lendemain sur la base d'autre découpage qui croiseraient en abscisses les trois fameuses colonnes classiques que reproduit le tableau; et ce des Ayt Atta à Rachidia et à Figuigue, de Bni Iznasn à Bni Warayn, des Masmuda du Haut Atlas et de l'anti-Atlas à tout le pays de la Charte d'Agadir et de l'Université d'Eté où l'on a déjà commencé, au nom dudit principe, à fustiger le fait que personne ne fait le voyage à partir de ces lieux pour les représenter en tant que région(s) au Conseil Administratif de l'IRCAM.

 

En plus de ses assises archaïques qui ne s'inscrivent dans aucune perspective d'une "société moderniste et démocratique" qu'on ne cesse de mâchonner, ce sport tortueux et tordu de représentation régionale constitue ainsi une lourde entrave non pas à la marche ordinaire de l'institution et à l'accomplissement minimum de ses tâches formelles immédiates comme il en sera donné un échantillon tout à l'heure. Sur le plan moral, déontologique et protocolaire, il n'est pas du tout digne, par dessus tout cela, d'une institution qui porte le substantif académique 'Institut' et le qualificatif protocolaire 'Royal' qu'on lui a donnés. Il n'est pas digne d'une telle institution qu'une certaine décision, soit-elle peu sage ou pas du tout, inadéquate ou même illégale sur le plan réglementaire, donne l'impression, vraie ou vraisemblable, mais bien exprimée par beaucoup, à cause de l'atmosphère que ce sport vicieux fait régner, qu'une partie ou un clan se sert en réalité elle-même insidieusement et sert son entourage alors qu'elle prétend œuvrer intelligemment pour prévenir à l'institution le cataclysme des déséquilibres de représentation régionale qu'on fait peser sur elle comme l'épée de Damoclès.

 

 

6. Echantillon anecdotique de dysfonctionnement

 

En plus de la grave atteinte à l'esprit et à la forme de la citoyenneté, de la modernité, du rationnel, pour ne pas dire du légal, que représente  la consécration du principe coutumier de 'représentation régionale' dans les esprits à force de le brandir tout le temps sur le terrain pour justifier toute décision et tout fait accompli, l'ancrage fâcheux de ce principe hérétique, auparavant tacitement et sournoisement sous-entendu, mais maintenant de plus en plus ouvertement consacré et hautement claironné par les déclarations et les documents officiels de l'institution (cf. les citations supra), commence déjà à se répercuter  depuis longtemps sur la façon dont les différentes instances de l'institut (Conseil Administratif, centres de recherches, commissions et commissions mixtes) accomplissent au quotidien les tâches respectives qui leur sont dévolues par les textes, ainsi que sur la façon dont ces instances articulent, sur le terrain, les différents relations et rapports que ces mêmes textes prévoient entre elles.

 

La dernier échantillon des manifestations flagrantes des retombées de ce vague mais sacro-saint critère de représentation associativo-politico-régionale qu'on évoque au sujet de la dotation de l'Institut en matière des ressources humaines ainsi qu'à l'occasion de toute (re)structuration dont ces instances font l'objet, est la récente controverse sur la standardisation de la langue amazighe, où des 'thèses' originales sur la pédagogie générale, sur la linguistique générale, mais aussi sur des détails de la structure et des spécificités comparées du lexique et de la morphologie amazighes, ont été avancées de tout bord. Il ne s'agit pas seulement, dans cette controverse, d'opinions émises par des particuliers profanes sur les colonnes de la presse ou à partir de certaines tribunes de masses à l'intention d'autres profanes, phénomène vieux comme la rhétorique politique puisque les thèmes qui se rapportent à la société ont toujours été vulnérables et perméables au sophisme populiste du profane comme l'a déjà souligné et banni de la Cité le mémorable Platon dans son 'Georgias' (Platon, p:142).

Il arrive même au contraire, et de plus en plus souvent, des cas d'interférence de fonctions à l'intérieur de l'Institut, où ce type de thèses et d'antithèses à base, parfois même avouée, de simples opinions d'amateurs, soient solennellement avancées lors de longues et ennuyeuses séances de travail, coûteuses en temps et en énergie, par des personnes respectables qui ont certes leurs propres compétences et leurs propres expériences dans les domaines où ils se sont pleinement investis  pendant la période de formation et où ils continuent de s'investir dans la vie active au quotidien, mais pas celles indispensables pour le domaine de la langue amazighe. Ce fut le cas par exemple, où le nouveau recteur de l'Ircam a mobilisé les chercheurs du Centre d'Aménagement Linguistique, tous des linguistes spécialisés, et pendant une demi journée pour venir écouter des développements d'amateurs de la part de deux juristes (Lahcen Oulahj et Safi Moumen) sur la langue amazighe pour la simple raison que ces deux juristes sont membre du CA de l'IRCAM et qu'il fallait les ménager dans le cadre de l'hypocrisie des équilibres régionaux. Les deux juristes autoproclamés en linguistes ont donné libre cours à leurs fantaisies sur la langue pendant toute un après midi devant les pauvres chercheurs linguistes y compris le recteur et le secrétaire général sans que personne parmi ces linguistes ne remette quoi que ce soit en question. Ce témoignage de 'sagesse' et d'abstinence déconcertantes de la part des ces linguistes n'est pas du tout dû au fait que le savoir ou le sens de l'ordre des choses manquent. Si on en est déjà arrivé à ce stade de sclérose et d'obstruction, c'est en fait, soit parce qu'on a établit comme ligne éthique et de conduite de chercher, coûte que coûte, à plaire à tout le monde, ou tout au moins, à ne pas déplaire à certains en particulier ou à personne dans la mesure du possible, soit parce que la démotivation que cette entorse aux prérogatives et à la déontologie engendre naturellement a déjà eu son effet sur le moral mobilisateur et motivant de tout le monde, soit enfin les deux raisons à la fois pour certaines parties impliquées. Le résultat global est en tout cas immédiat et simple à prévoir : une perte énorme et regrettable d'énergie et un risque de plus en plus réel de voir la démotivation généralisée, vu la banalisation des titres et des prérogatives sicientifiques.

 

 

7. Conclusion

Ce qui précède tout à l'heur n'est qu'un  échantillon des effets pervers de toute cette acrobatie calembouriste et de tout ce manège forain que met en jeu la recherche des ces complicités et compromis parfois presque familiaux qu'impose une recherche à tout prix de ce qu'on se complaît d'appeler 'équilibres régionaux', appellation euphémique qu'on trouve  commode et bonne pour déguiser toute pratique politicienne au sein de l'institution. Des traditions perverses sont donc en train de s'ancrer dans les esprits et dans les meurs des gens au sein de l'Ircam. Ainsi par exemple pour renouer avec les cas de figure auxquels il vient d'être fait allusion, les styles protocolaires à décorum 'hyper discrets' et 'hyper diplomate' que dicte l'idolâtrie des 'équilibres régionaux' dont certains font une loterie nationale, donnent enfin de compte l'impression à tout un chacun qui a la hardiesse de s'improviser dans un domaine donné, d'être effectivement cautionné par 'les autorités compétentes' en tant qu'expert dans le domaine où il s'improvise. Cela est catastrophique, et prophétise d'une déconfiture fâcheuse de tout l'édifice. Ainsi, à ce qu'on a fini par appeler 'double casquette' (cumuler les deux fonctions de chercheur et membre du CA de l'Ircam), qui n'est pourtant pas un vice de forme ni de fond en soi, et qui est déjà consacré dans les faits par la simple force des premières décisions de structuration de l'institution au départ, vient s'ajouter encore, en se greffant dessus dans la pratique, ce que l'on peut maintenant appeler 'compétence multiple', d'une part, et 'prérogatives polyvalentes', d'autre part.

 

Je répète, enfin, que ce n'est pas ici le lieu de m'attarder, en détails techniques, sur les différents autres aspects des ravages que ce principe coutumier me semble avoir fait et continuer de faire. Le but de ce plaidoyer pour la vérité, dit 'ma part de vérité', n'est pas de débiter les détails d'une vérité absolue, que personne ne détient, mais plutôt de faire simplement de sorte qu'un état de dysfonctionnement d'une institution, noble de par son statut, de par ses objectifs fondateurs ainsi que de par le dévouement de beaucoup de braves gens qui y participent à tous les niveau, soit sorti de la sphère conspiratrice du non dit. Ainsi, l'on brise, au lieu de l'entretenir en y participant, l'unisson hypocrite et malheureux de cet orchestre aphasique de silence qui plombe l'espace de la noble institution. En opérant une brèche dans ce mur lamentable du silence, une nouvelle réflexion devient possible. Elle ne peut être qu'une entreprise collective, une œuvre collégiale à laquelle toutes les potentialités concernées et toutes les compétences de bonne volonté seront appelées à contribuer, chacune à partir de son poste de responsabilité. Sereine, mais sérieuse et ferme, une telle réflexion devra porter entre autres choses sur la façon adéquate pour l'Institut de dépasser les nouvelles tares que la praxis fait souvent émerger des fonds même de tout formidable exploit qu'on réalise. L'exploit dont il est ici question, toujours actuel malgré toutes les difficultés et tous les achoppements, est bien sûr l'exploit culturel national, marqué de l'empreinte indélébile de notre éminent Doyen, le Professeur Mohamed Chafik, cet apôtre de la franchise et de la vérité à qui je dédie en toute sincérité ce plaidoyer dit 'ma part de vérité' en hommage à ses qualités, à sa science et à l'action qu'il a menée dans le cadre de notre vécu, individuel et collectif, à nous tous, "d'une appartenance identitaire pluridimensionnelle".

 

 

8. Références

Chafik, Mohamed (1972) Pensées sous-développées. La Presse Universelle. Paris

Chafik, Mohamed (2000)a "Le vécu individuel d'une appartenance identitaire pluridimensionnelle" ; ms. Rabat, 12 septembre 2000  (publié par le mensuel Tawiza ; n° 44 ; décembre 2000)

Chafik, Mohamed (2000)b Pour un Maghreb d'abord maghrébin. Centre Tarik Ibn Zyad pour les études et la recherche. Rabat.

Kich, Aziz (2004) "De certains défis de l'IRCAM : harmonisation, représentation et efficacité. Le Matin du Sahara (29 02 2004)

Platon (édition 1993) Gorgias. Ed. Flammarion , Paris

 

 1993.ÔÝíÜÜÜÜÜÜÞ¡ ãÍãÏ (Ì1 1990¡ Ì2 1996¡ Ì3 2000)   ÇáãÚÌã ÇáÚÑÈí ÇáÃãÇÒíÛí. ÃßÇÏíãíÉ ÇáããáßÉ ÇáãÛÑÈíÉ. ÓáÓáÉ 'ãÚÇÌã' ÇáÑÈÇØ

 

 

 



[i] A part de menus détails d'actualisation et certaines précautions contre un style directe que m'imposait mon ex-statut de chercheur à l'IRCAM,  ce texte est celui présenté à la date mentionnée de sa rédaction, comme contribution à  un volume en hommage au Professeur Mohamed Chafik, ancien doyen de l'IRCAM. Le projet de cet hommage a fait l'objet de plusieurs tergiversations de formes et de format d'ordre organisationnel la part des nouveaux responsables de cette institution, durant lesquelles j'ai soumis trois textes dont celui-ci, qui a circulé par immédiatement après sa rédaction auprès de plusieurs parties dont le professeur Chafik lui-même.

 

[ii] Actuellement (depuis l'automne 2006) à l'Institut Universitaire de la Recherche Scientifique.

 

[iii] Notre attachement à associer les représentants des différentes composantes de la nation et de ses forces vives à cette cérémonie bénie, que nous avions tenue à Ajdir  dans la province de Khénifra, à l'occasion de l'apposition de notre sceau chérifien sur le dahir  portant création et organisation de l'Institut, émane de notre conviction que l'amazighite, qui  plonge ses racines au plus profond de l'histoire du peuple marocain, appartient à tous les Marocains sans exclusive et qu'elle ne peut être mise au service de desseins politiques de quelque nature que ce soit. (Discours de SM à Ajdir le 17 10 2001)

 

[iv]   "æáåÐÇ ÝäÇÏÑÇ ãÇ äÌÏ ãä íÓÃá ãä ÇáÃãÇÒíÛííä Úä ÇáãäØÞÉ ÇáÊí íäÊãí ÅáíåÇ ÇáÃÓÊÇÐ ãÍãÏ ÔÝíÞ Ãæ ÇááåÌÉ ÇáÃãÇÒíÛíÉ ÇáÊí íÊÍÏË ÈåÇ¡ áÃäå¡ ÈÕÏÞ äÖÇáå¡ íäÊãí Åáì ßá ãäÇØÞ ÊÇãÇÒÛÇ æíãËá ßá áåÌÇÊ ÇááÛÇÊ ÇáÃãÇÒíÛíÉ. æåÐÇ æÇÖÍ ÍÊì ãä ÎáÇá ãÚÌãå ÇáÖÎã ÇáÐí áÇ äÌÏ Ýíå ÃËÑÇ ááãäØÞÉ ÇáÊí ÇäÍÏÑ ãäåÇ ÇáÃÓÊÇÐ ÔÝíÞ¡ Èá åæ ãÚÌã ãÔÊÑß Èíä ßá áåÌÇÊ ÇáÃãÇÒíÛíÉ  Panberbère " (ÊÜÜÇæíÜÜÒÇ º Ú 72 º ÃÈÑíá 2003)

 

[v]  Elmedlaoui, M. (1991), "Extension de la racine en chamito‑sémitique"; exposé donné à la réunion du GLECS, EPHE, Sorbonne, 19 06 1991, paru dans Linguistique Africaine 12(1994): 93‑118, Paris

 

[vi] Il est vrai que lors d'une séance dite de discussion orale portant, le 16 01 2004, sur  un  rapport d'activité de l'un des centres de l'Institut, déjà écrits et envoyés pourtant à destination,  les membres du centre en question ont été formellement invités  à décliner, chacun(ne),  solennellement son appartenance régional, qu'il/elle en ait ou  non  un sentiment aigu, une idée vague ou rien du tout. Personnellement, j'avoue que la seule fois auparavant dans ma vie où un responsable auquel  j'aie affaire dans la vie professionnelle m'aurait  pris de court et jeté dans une confusion  totale en  m'invitant crûment à faire un tel serment,  remonte à 1977, dans les couloirs de la Faculté de Lettre de Fès, lors d'une attente à n'en finir qu'une respectable commission 'départage' les six candidats dont j'étais à un concours pour  trois  postes d'Assistant à l'université et d'où j'ai été viré en fin de compte dans les conditions dont se souviennent et sourient encore aujourd'hui beaucoup de mes collègues et professeurs de certains départements d'arabe.  D'après ces deux anecdotes, et sur ce plan de ce qui est ici pertinent comme valeurs, le train  d'une  société moderne et démocratique'  est au point  mort à la GMA (Gare du Moyen Age) s'il est prouvé qu'il  ne fait pas marche arrière.



20/12/2007
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