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Lorsque la tragédie de la Shoah devient un instrument de la petite politique

Lorsque la tragédie de la Shoah devient l'instrument de la petite politique

(A propos de la visite d'un groupe d'Amazigh en Israël)

                                                           Mohamed Elmedlaoui

 

La presse marocaine parle ces derniers jours d'une visite qu'a effectuée une vingtaine de Marocains en Israël, invités par le Musée Yad Va Shem du Mont Hertzel  à Jérusalem pour assister à un séminaire sur la Shoah. Le "premier magazine juif sur le net", Alliance (24 nov 2009, 7 kislev 5770) commente l'évènement sous le titre "C'est la première fois qu'un groupe de cette taille en provenance d'un pays arabe participait à un séminaire" (mon soulignement).
On lit notamment ce qui suit dans la couverture de l'évènement (voir http://www1.alliancefr.com/articles.ahd?art_id=8892):

«Une vingtaine d'enseignants venus du Maroc ont participé la semaine dernière à un séminaire à Jérusalem sur l'enseignement de la Shoah, une première pour l'institut Yad Vashem, organisatrice du séminaire, a-t-on appris mercredi auprès de l'institut. "Nous sommes berbères et nous avons une histoire commune avec le peuple juif que nous voulons mieux connaître", a expliqué l'organisateur marocain de la visite, Boubaker Ouaatadit, un enseignant de 33 ans, professeur d'allemand à Casablanca, avant son retour au Maroc.   Arrivé via la Turquie, pays qui a des relations diplomatiques avec Israël, ce groupe de Marocains a suivi un séminaire d'une semaine dans le cadre de l'école internationale d'enseignement de la Shoah au mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem. (...). C'est la première fois qu'un groupe de cette taille en provenance d'un pays arabe participait à ce séminaire.  Pour Dorit Nowak, la directrice de l'école de Yad Vashem, la visite d'une délégation d'un pays arabe était "capitale".  (…).

La visite des  enseignants  berbères à l'institut Yad Vashem de Jérusalem a été rendue possible grâce aux efforts de l'association pour l'Amitié entre les Amazighs et les Juifs. Cette dernière existe depuis 2007 au Maroc. Elle a  pour objectif, le développement des relations entre Imazighenes (les berbères) marocains et les juifs berbères vivant en Israël ».

Je remarque tout d'abord le paradoxe identitaire de "BERBERES" qui, dans l'esprit politique du texte, "représentent" un "pays ARABE". Je conclus en suite de l'évènement en soi tel qu'il a été organisé, ainsi que du sens qui se dégage explicitement de la manière dont il a été présenté, que la Shoah, tragédie historique de portée universelle, est devenue un instrument de la petite politique de percées "capitales". Cette tragédie faite par la folie humaine, que personne n'a le droit de monnayer en percées politiciennes "capitales" et qui reste d'ailleurs mal connue dans une société comme la société marocaine, mérite pourtant beaucoup mieux que ce genre de manège. Lorsque dans son message adressé le 18 mars 2009 aux participants à la conférence de lancement du Projet Aladin pour un dialogue interculturel au siège de l'UNSECO à Paris (http://www.fondationshoah.org/FMS/spip.php?article884 ), Sa Majesté le Roi Mohammed VI a précisé notamment que: "Ma lecture de l'holocauste et celle de Mon Peuple ne sont pas celle de l'amnésie", c'était au nom de Son peuple, le peuple marocain, qu'il parlait au sujet de l'Holocauste et non au nom d'une ethnie ou d'une confession (1). La "lecture" dont il parlait est une lecture que promeuvent les Marocains à travers l'essor culturel et intellectuel global de la nation et non le monopole ni le fond de commerce d'une ethnie ou d'une confession. Une lecture qui fait notamment le distingo entre la tragédie de l'holocauste et celle du peuple palestinien en ne cherchant surtout jamais à justifier l'une par l'autre, ni à réduire les dimensions de l'une en évoquant celles de l'autre. Ce fut, me semble t-il, dans cet esprit qu'un jeune orchestre de réfugié(e)s de la ville martyrisée de Jénine avait donné un concert (mars 2009) au profit de vieux et vielles rescapé(e)s de l'holocauste, et ce en leur qualité de Palestinien(e)s, ni plus ni moins, i.e. abstraction faite de leurs éthnies, tribus ou confessions(http://womenslens.blogspot.com/2009_03_01_archive.html)  

Pour ce qui est des identités plurielles, dans leur rapport avec la cytoyenneté, le Maroc a entamé depuis longtemps sa politique de démocratisation et de gestion rationnelle de ses différentes pluralités, sur tous les plans, dans un esprit citoyen moderne; et c'est une démarche déplacée, perverse  et contreproductive sur tous les plans également, que de se servir, avec opportunisme, de la mémoire de la tragédie de la Shoah pour opérer des percées "capitales" au niveau de la petite politique, et ce en se servant à la fois aussi bien de la mémoire de la Shoah elle-même que des contradictions de l'espace de la pluralité culturelle et identitaire marocaine, dont la communauté juive notamment a d'ailleurs fait et continue de faire partie intégrante. Ce n'est pas à travers les biais communautaristes et/ou ethnico-identitaires que le Maroc entend concrétiser sa politique en matière de diversité culturelle ou de culture des droits humains dans leurs sens citoyen et universel. Oeuvrer ainsi pour associer dans les esprits dorénavant tout intérêt à la mémoire de la Shoah à l'activisme de conjoncture d'une frange marginale de l'une des composantes des parties du débat identitaire au Maroc, est simplement une garantie de bloquer, en l'amalgamant aux intérêts politiques immédiats, l'appel du message de SM Mohammed VI à assumer, dans sa totalité, la mémoire historique de cette tragédie. Il n'y a ainsi donc pas à s'étonner, par exemple, du fait que les Marocains qui ont démocratiquement manifesté à Tanger le 20 novembre 2009 contre la présence de l'ex ministre israélienne, Tzipi Livni, dans les travaux des MeDays orgnisés par l'Instutut Amadeus, aient décrié celles-ci tout en parallèle et en association, sur le plan intérieur, avec leur ferme condamnation de ce qu'ils désignent comme "traitrises des Amazigh", en allusion à la visite du "groupe de Berères". C'est là en fait, par ricochet, un autre alibi providentiel de perversion et de diversion mis à la disposition de tous ceux qui avaient été pris de court par le dahir royal (2001) réhabilitant la culture amazighe, et ce pour réactualiser leur discours de diabolisation de la cause de cette culture qui est une sous composante de la cause nationale de citoyenneté moderne, mais qu'ils avaient associée durant un demi siècle au colonialisme français (la fameuse politique berbère de la France) et voilà qu'ils trouvent maintenant une occasion facile pour l'associer au sionisme dans les esprits simples. L'amalgame ainsi monté est une bombe jetée pour sapper l'effort intellectuel et citoyen des marocains, fourni pendant ces dernières années et couronné notamment par l'initiative du souverain de promulguer un dahir (2001) qui réhabilite le volet amazighe (i.e. berbère) de la culture et de l'identité marocaines sous le signe "La culture amazighe est la responsablité de tous". L'idéologie arabiste a toujours réduit tout intérêt pour la langue et la culture berbbères à une simple conspiration francophone coloniale en se référent rituellement et "haggadiquement" à l'alibi du fameu dahir de l'époque coloniale dit "Dahir Berbère" de 1931, et voilà maintenant que les champions de cette idéologie que le Dahir d'Ajdir avait pris de court, se frottent les mains et sautent sur un autre alibi "plus en phase avec la conjoncture" contre cette culture en y dénonçant la main du sionisme international.

Enfin, et pour ce qui me concerne en tant que chercheur qui a consacré le gros de sa carrière à promouvoir la langue et la culture amazighes notamment, ainsi que la culture judéo-marocaine et la langue hébraïque au Maroc, et qui a exercé notamment dans l'Institut Royale de la Culture Amazighe, il m'est arrivé avant même ledit message royal à la conférence de lancement du Projet Aladin,  que je sois invité par les organisateurs (Mairie de Paris et Fondation de la Shoah) du déplacement Paris - Auschwitz Birkenau de l'année dernière 2008. Je donnai mon accord par écrit avant que ce déplacement ne fût reporté à cause de la guerre de Gaza, report qui m'a d'ailleurs stupéfait, à cause justement de l'amalgame qu'en dégagent ses propres motifs évoqués, de présenter la comémoration en soi de façon indirecte comme un jeste non pas envers la tragédie en elle même, mais vis-à-vie d'une politique donnée sur le terrain au Moyen Orient (on annule le souvenir de l'Holocauste parce qu'Israël nous gène par son attaque "disproportionnée" de Gaza!). J'avais donné mon accord en tant que simple citoyen, et sur la seule base de mes seules propres convictions personnelles en ce qui concerne le sens de la tragédie en elle-même, en soi, et en  ignorant aussi bien tous "les détails" négationnistes (la comptabilité macabre par exemple, etc.) que toutes les récupérations dont cette tragédie a fini malheureusement par faire l'objet ici ou là. Mais si, en plus de tout cela, elle commence à être instrumentalisée, de part et d'autre, dans la politique interne de mon propre pays, j'imagine mal qu'un citoyen digne et responsable puisse être au rendez-vous à l'avenir s'il risque de se trouver catégorisé avec des gens qui se présentent, et qu'on présente, comme des "Berbères" (ou des Arabes ou encore des Musulmans) et qui cherchent à conclure - comme ils l'ont dit explicitement - des rapports politiques dans des espaces à haute sensibilité, non pas en tant qu'individus ou tout au plus en tant que Marocains qui ont une vision politique donnée, mais en tant qu'une ethnie particulière à laquelle on cherche à forger une stature, une politique distincte et une visibilité internationale. En accord avec la Constitution et la loi au Maoc, dans tout espace qui n'est pas proscrit par une loi, on représente soit sa propre personne, en tant que simple citoyen, soit son association légalment reconnue et dans les limites de sa vocation, soit son parti politique, sachant que la loi ne permet pas de parti fondé sur des dimensions éthniques ou confessionnelles. La conception ethnographique et folkloriste d'un Maroc, en tant qu'un simple collage particulier et précaire de tribus berbères et arabes, mérite certainement une mise à jour plus en phase avec l'époque. Il se peut fort bien, en fait, que les nouvelles réalités sociopolitiques du Maroc actuel échappent à beaucoup de ceux qui ont monté l'opération des deux côtés. Mais il y parmi ceux qui ont participé audit  séminaire du côté israélien, selon le rapport précité de l'Alliance, des autorités scientifiques auxquelles rien ne peut échapper de la sémiologie politique qui se dégage de la façon dont l'évènement a été organisé et présenté aux média ; je pense notamment au politologue Bruce Maddy Weizman, fin politologue spécialiste des pays du grand "Moyen Orient", entité-sac récusée d'ailleurs un jour par le souverain marocain Mohammed VI dès le moment où la tradition israélo-américaine commence y ranger le Maroc d'aujourd'hui; il s'agit d'un pays que les véritables Orientaux (du Moyen ou du Proche Orients) ont toujours considéré est nommé Maghrib Aqsaa ("Extrêm Occident").

(1) Voir le texte du SM, Mohamed VI in : http://www.lematin.ma/Actualite/Journal/Article.asp?origine=jrn&idr=110&id=110460



24/11/2009
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